16 avril 2024

Le monde en nous rencontre… Michèle Chast

Des courbes, des galbes, des corps stylisés féminins. Qui ne sont pas sans évoquer le travail d’un Henry Moore. Au premier abord, c’est la douceur des sculptures de Michèle Chast qui caresse l’œil. Puis leur ambiguïté, revendiquée, qui le retient. Michèle Chast sculpte la vie, avec ce qu’elle comporte de sensualité et de violence. Aux premiers jours de l’été, nous sommes allées à sa rencontre, dans son petit atelier d’Issy-les-Moulineaux où elle nous a reçues pendant près de deux heures. Son parcours, ses travaux, son engagement, ses projets… Portrait d’une artiste sculpteur émergente pudique, sincère et passionnée.

Pour Michèle Chast, la sculpture est plus qu’une passion, c’est sa vie. Elle dort, rêve et peut-être même, mange sculpture ! Elle dit sculpter partout, pouvoir passer dix heures d’affilée les mains dans la terre, parfois jusqu’à 4h du matin, à modeler une idée qui lui sera venue dans la nuit. Elle ne peut pas s’en passer.

Créer, elle l’a toujours fait. Enfant, c’est par le dessin que son imagination s’exprime. Plus tard, diplôme d’Esmod en poche, elle entre comme styliste responsable du sportswear chez Nina Ricci. Passionnée depuis toujours d’Art déco, elle amorce un premier tournant dans sa carrière lorsqu’elle fait la connaissance d’une antiquaire qui l’invite à travailler à ses côtés. Elle chine à son tour, ouvre sa propre échoppe à Issy-les-Moulineaux – devenue aujourd’hui son atelier. Mais réalise au bout de quelques années que vendre ne l’intéresse pas. Second tournant : tout abandonner pour se consacrer pleinement à la sculpture, découverte en parallèle aux Beaux Arts.

Le geste et la matière

Aller plus loin que les lignes, empoigner la matière, vivre une expérience charnelle, travailler en trois dimensions… voilà ce qui plaît à Michèle Chast dans son art. Même si celui-ci, physique, malmène ses mains et ses doigts, et exige de la patience. Car une sculpture doit être séchée, cuite, poncée… et cela peut parfois prendre une année entière !

Michèle Chast sculpte à l’instinct, directement, sans plus de croquis préparatoire et sans toujours savoir vers quoi elle s’achemine. Mais elle ne s’éparpille pas. Elle reste fidèle à ses matériaux fétiches que sont la terre, la résine et le bronze. La terre, d’abord, blanche. L’origine. Certaines de ces sculptures en terre deviennent ensuite des résines pour la plupart, ou des bronzes : « je trouve ça fascinant : c’est magique quand on assiste à la fonte ». Magique mais aussi symbolique car, pour un bronze, le moule en argile qui reproduit le modèle en cire – qui fond durant la cuisson au four et est ensuite remplacé par le bronze (technique dite de la « cire perdue ») – est systématiquement cassé après réalisation de douze pièces, considérées comme uniques.

Résine ou bronze ? Comment choisit-elle ?

« Je sais d’instinct si une pièce sera en bronze ou en résine, toutefois, il faut savoir que le coût est moindre pour la résine. On est assez nombreux à travailler la résine, et de moins en moins à travailler le bronze car la matière première est très chère. Et ça demande beaucoup de travail. Mais c’est vrai que c’est magnifique ».

Le blanc et le noir sont deux couleurs essentielles pour Michèle Chast, qui leur accorde une place prépondérante dans ses sculptures mais aussi dans sa vie. Et puis le rouge, couleur forte, vive, tranchante. Celle du sang et de la colère, mais aussi de la passion et de la vie. Son rouge a été fait sur-mesure, en collaboration avec Haligon, qui fut le fondeur de Niki de Saint Phalle, une artiste qu’elle admire particulièrement.

Depuis peu, parce qu’elle est en perpétuelle évolution, la sculptrice s’essaie à une quatrième couleur : l’acier. Elle n’en est encore qu’aux balbutiements ; chaque sculpture la rapproche de son but, est une pierre ajoutée à son cheminement créatif, dans la forme, la matière, ou la couleur.

La lutte contre la violence faite aux femmes

Depuis quelques années, Michèle Chast consacre une part importante de son travail à la lutte contre la violence faite aux femmes. Ce sujet, elle a voulu le traiter différemment : elle s’y est plongée durant trois ans, s’est énormément documentée, a rencontré victimes, associations, thérapeutes.

En 2010, elle s’entretient avec André Santini, Maire d’Issy-les-Moulineaux, qui décide de dédier quinze jours dans la ville à la lutte contre la violence faite aux femmes et lui offre un espace de 150 mètres carré à l’Hôtel de Ville pour y exposer une cinquantaine de sculptures. Une vidéo « Plus jamais… », réalisée sur son scénario par une étudiante diplômée de Penninghen, avec la voix de Pierre Arditi, représentant la souffrance, mais aussi la renaissance des femmes violentées, est également diffusée.

Cette exposition n’est que la première partie d’une série bien plus grande, puisque l’artiste a choisi d’aborder ce thème par le prisme des cinq sens, tous atteints, selon elle, par les actes de violence : « Au début, je me suis consacrée à la vue et l’ouïe, avec le son et la série des « Ensanglantées ». Actuellement, je travaille sur le toucher et l’empreinte. J’ai fait une petite exposition intitulée « Jeux de mains, jeux de vilains », lors de la journée contre les violences faites aux femmes. J’espère en faire d’autres. Ensuite, je m’attellerai au goût ».
Des raisons profondes de ce combat qui semble lui tenir à cœur, nous n’en saurons pas plus. L’artiste, qui se dit timide et réservée, préfère sourire pudiquement et évoquer des films, des livres, des témoignages. Et, malgré son engagement fort, elle insiste : son travail est avant tout celui d’une artiste libre, même si elle défend une cause. Elle refuse d’être enfermée, rattachée, assimilée ; chaque exposition est d’ailleurs l’occasion de reverser ses bénéfices à une association différente.

« Je pense que l’on peut faire passer des messages par l’art sans pour autant être MLF ou Femen. A chacun de l’interpréter comme il veut. Je ne porte pas un message politique, surtout pas politique, mais un message humain ».

Sculptures de « Plus Jamais… », exposition 2010 contre la violence faite aux femmes à travers le monde (cliquez)

Cote et crise

Michèle Chast sculpte par plaisir et passion, mais pas pour l’argent. Pour l’instant. Si elle produit plus qu’elle ne vend, c’est d’abord parce que la sculpture est un travail de tâtonnement, de progression, mais aussi, elle le reconnaît sans ambages, parce qu’elle n’est pas encore assez connue.

Elle est pourtant bien accompagnée ; son premier marchand d’art ne fut autre que Fabien Béjean, expert en art contemporain de Pierre Bergé, et aussi celui qui l’a orientée vers les résines : « c’est avec lui que j’ai fait ma première vente aux enchères, à Bruxelles, où une résine et un bronze sont partis. En tant qu’artiste inconnue, c’était génial ! »

Aujourd’hui, elle est défendue par la Galerie Fleury qui l’expose en permanence avenue Matignon et n’a pas hésité à présenter ses œuvres aux côtés de celles de Zadkine lors de la Art Paris Art Fair au Grand Palais.

Mais l’art n’échappe pas à la crise. Michèle Chast constate à regret que la période n’est pas favorable aux artistes, surtout lorsqu’ils ne font pas partie des « valeurs sûres ».

« En France, les galeries « mécènes » n’existent plus. Elles font des salons, mais cela coûte très cher. Aujourd’hui de nombreuses galeries ont ouvert qui, à mon sens, tuent un peu le marché de l’art en faisant « location d’espace » : elles font payer à l’artiste un nombre de mètres carrés et elles exposent tout et n’importe quoi. Et le marché de l’art lui-même n’est pas tout rose, parfois complètement fictif, spéculatif : une galerie peut ainsi miser sur un artiste inconnu, le faire monter et, d’un claquement de doigts, le faire tomber du jour au lendemain ».

Le salut se trouverait-il sur d’autres marchés ? La sculptrice évoque la tendance « coups de cœur » de la Belgique, souvent favorable aux artistes émergents, mais aussi la plus grande ouverture et diversité des Etats-Unis – où elle a vendu l’une de ses sculptures d’1 mètre 50 – ou encore les galeries asiatiques, notamment hongkongaises, qui semblent particulièrement bienveillantes à l’égard des artistes français.

Une quête continuelle

Michèle Chast et terre patinée sans nom, pièce unique

Artiste confirmée, sculptrice passionnée, Michèle Chast ne se repose pas sur un style. Ses inspirations, les artistes qui la font vibrer, sont d’ailleurs très divers : Niki de Saint Phalle, donc, Camille Claudel, Louise Bourgeois, Yayoi Kusama, Germaine Richier… « C’était, comme Coco Chanel dans l’univers de la mode, de vraies personnalités. Il fallait être des personnalités, de toute façon, pour sortir du lot ». Picasso, Otto Dix, Bellmer, Warhol, Lipchitz, Henry Moore, Zadkine… Comme eux, elle continue de chercher, d’expérimenter. D’un travail déjà très stylisé, elle avance vers des formes de moins en moins académiques, de plus en plus épurées et abstraites.

Bientôt, quand elle aura achevé l’acheminement en cours de ses sculptures vers de plus vastes espaces, elle créera encore. Cette fois-ci, un showroom, à la place de son atelier. Elle y recevra ceux qui, comme nous, ont été attirés par ces formes mystérieuses et puissantes, ces couleurs entières et intègres, ces mots, tus par la voix, mais dits par la matière.

 

Crédits photos : Fred Quehen

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