29 mars 2024

Yanowski : « La Passe Interdite »

Quand Yanowski paraît sur scène, je suis toujours saisie par son allure de géant intriguant, voire inquiétant, entre créature de Frankenstein émouvante et Dracula démoniaque. Séparé le temps d’un spectacle solo de son compère Fred Parker, fabuleux pianiste de leur extraordinaire duo Le Cirque des Mirages (à voir en live au moins une fois dans sa vie !), le voici cette fois-ci entouré de deux musiciens d’exception, le violoniste Cyril Garac et le pianiste Gustavo Beytelmann – qui signe les arrangements -, pour une Passe Interdite de grande classe.

Un peu déroutée, le temps des deux premiers morceaux, par l’absence de Parker, je n’ai pas mis longtemps à être à nouveau séduite par l’univers fantasque et fantastique de Yanowski, qu’il porte avec une intensité exaltée, proche de la transe. Poète inspiré, compositeur exigeant (les mélodies sont parfois complexes), interprète incandescent, que l’on rapproche souvent de Brel (malgré un timbre plus nasal), conteur hors-pair, il nous emmène avec lui, dans une course folle, de bas-fonds argentins louches en gargotes slaves débridées où l’on danse toute la nuit jusqu’à perdre haleine, en passant par un quartier juif, une synagogue, le bal d’une comtesse… Son goût du grotesque, son sens de l’atmosphère, ses références littéraires (Baudelaire, Poe, Hoffmann et Gogol peut-être) explosent dans un savant mélange de mots parfaitement choisis et de théâtralité exacerbée. On ressent une forme de démesure, peu banale dans la chanson française, alors même qu’elle est très visiblement contenue dans le carcan d’une précision maniaque d’horloger (gestuelle millimétrée, timing impeccable de la voix et des instruments…)

On retrouve en partie l’univers à la fois sombre et joyeux développé dans le cabaret expressionniste du Cirque des Mirages (l’histoire du double dans le miroir n’est pas sans évoquer « Le Fonctionnaire »), même si le voyage et le dépaysement, explorés dans leur précédent spectacle Vagabonds des Mers, occupent ici une plus grande place et que l’écriture musicale est différente. Yanowski reste cet ogre charismatique à double visage qui chante les fragilités de l’homme avec la même sincérité qu’il entonne des chansons « borderline » comme le délirant « Petrouchka », dans la veine des « bordels ».

La Passe Interdite est une expédition singulière que je recommande caniculairement (surtout en ces temps frisquets) à tous ceux qui sont irrémédiablement attirés par la folie, le mystère, l’amour, la mort, le foutre, la vodka ; « l’horreur de la vie et l’extase de la vie ». Il est fort probable que vous n’en reveniez pas.

Yanowski, La Passe Interdite



Vu le mardi 19 novembre 2013 à la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs (Paris 6ème)

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Céline

J'aime bidouiller sur l’ordinateur, m’extasier pour un rien, écrire des lettres et des cartes postales, manger du gras et des patates, commencer des régimes, dormir en réunion, faire le ménache, pique-niquer, organiser des soirées ou des sorties « gruppiert », perdre mon temps sur Facebook et mon argent sur leboncoin.fr, ranger mes livres selon un ordre précis, pianoter/gratouiller/chantonner, courir, "véloter" dans Paris, nager loin dans la mer…

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3 réflexions sur « Yanowski : « La Passe Interdite » »

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