28 mars 2024

Le monde en nous rencontre… Séverine Chavrier

Lundi 1er décembre, nous sommes allés au Nouveau Théâtre de Montreuil, pour assister à la Première des Palmiers sauvages, création de Séverine Chavrier inspirée du roman de William Faulkner. Pendant près de deux heures, Laurent Papot et Déborah Rouach sont seuls en scène, pour s’aimer et pour se déchirer. La metteure en scène, également pianiste, nous a accordé quelques minutes en fin de soirée, pour nous raconter le parcours de cette création et son admiration pour l’œuvre de Faulkner. 

MarCel : Séverine Chavrier, bonjour. Nous venons d’assister à la première de votre spectacle les Palmiers sauvages. Cette pièce est une création inspirée d’une œuvre de William Faulkner. Dans ce spectacle, qu’est-ce qui vient de lui et qu’est-ce qui vient de vous ?

Séverine Chavrier : notre travail consiste à mélanger les deux sources d’inspiration. Dans ce roman, Faulkner décrit beaucoup les lieux où vont les deux personnages, mais il ne donne pas beaucoup d’informations provenant des dialogues. Par exemple, à partir du moment où il est question de l’enfant, le quotidien des personnages est bouleversé par des discordes qu’il fallait inventer. Donc, on a essayé d’inventer, par l’improvisation et par le travail avec les acteurs, tout ce qui n’était pas écrit. Ça, c’est passionnant. Et puis un plateau, c’est aussi fait pour créer du rêve. À quoi le roman de Faulkner me fait-il penser ? Ce qui m’intéresse c’est ce qu’il dit sur, de et par les femmes. C’est aussi cette nature, toujours extrêmement présente, à la fois comme une prémonition et comme une chose qui reprendrait possession des humains… Il y a beaucoup ça dans la terre d’Amérique, mais la question s’est posée de savoir comment nous, on allait essayer de traduire ça au plateau, comment l’image allait essayer de représenter ces sensations. Le travail consistait à tenter de suivre cette narration, qui est quand même une narration faulknérienne, donc complexe.

MarCel : les Palmiers sauvages, ce sont deux romans qui s’alternent…

Séverine Chavrier : oui, c’est vrai, c’est vraiment intéressant, je n’avais pas les moyens financiers de monter les deux récits. Donc, je me suis posée la question de la réduction de l’histoire : comment essayer d’y mettre du Faulkner sans forcément suivre pas à pas le livre. C’est un premier pas sur le continent Faulkner. Nous avons aussi puisé dans d’autres livres, par exemple dans Snopes, dans Tandis que j’agonise. Et puis, des mots qui sont les nôtres, les miens, comment on réinvente à partir de cette histoire d’amour… Puisqu’il me semble que c’est aussi une préoccupation de Faulkner de chercher une langue vernaculaire. Ce que l’on a gardé, c’est vraiment l’idée d’aller à la recherche de ces deux personnages. Lui, puceau, de trente et quelques années, qui tout à coup rentre dans cette histoire ; et elle, une femme d’une tendresse un peu violente, qui lui fait mal, qui est très volontaire mais qui n’a pas beaucoup de mots pour exprimer ça, qui abandonne tout pour cette histoire, et qui veut absolument que ça tienne, qui veut absolument aller jusqu’au bout. On voulait surtout aller à la recherche de ces deux personnages et ensuite inventer ce qu’ils pouvaient se dire avec nos imaginaires à nous.

MarCel : vous avez parlé du rôle de la femme…

Séverine Chavrier : oui, on dit que Faulkner est misogyne. Sollers disait l’inverse. C’est un roman assez autobiographique, qui parle d’un échec amoureux. Il y a un règlement de comptes assez amer, mais moi j’adore ce qu’il dit sur les femmes. Je trouve ça tellement juste et tellement féminin au fond… pour arriver à comprendre ça, à saisir cette incommunicabilité qu’il y a dans chaque couple, une espèce d’incommunicabilité entre les êtres, et toutes ces tentatives qu’on essaie de faire, tous les chantages affectifs… Et puis, j’avais envie de défendre l’idée qu’il avait peut-être une force érotique dans leur amour, qu’il y avait un sol physique. Ça, ça n’est pas écrit… donc, comment le montrer sur scène, avec de l’humour ? Comment parler de désir sur scène ? Par ailleurs j’ai voulu m’intéresser à la parole après l’amour … Comment est-elle cette parole, qui est à la fois souvent lieu de confidence, qui passe du coq à l’âne ?… Une parole détendue, libre, parfois fantasque… Il y a quelque chose qui se lâche à ce moment-là et qu’on ne voit pas souvent, il me semble, sur scène.

MarCel : vous travaillez beaucoup avec les différents supports : le son, la vidéo, la lumière. Il y a même un pianiste

Séverine Chavrier : en fait, c’est moi qui joue du piano sur scène. Je trouvais bien d’intervenir aussi dans une partie, sans m’introduire dans l’histoire et tout en donnant une couleur. Il y a du son du début à la fin. Chez Faulkner, il y a toujours un élément sonore super puissant dans ses romans. Ça peut être la terre, le feu, l’air, l’eau. Dans le deuxième roman, il y a une inondation. Dans le premier roman, c’était vraiment le vent. Et à la fin du spectacle, le son s’arrête. S’agissant de l’aspect visuel, je tourne souvent des images dans le lieu de création. Toutes les images ont été tournées à l’extérieur au lac de Lausanne, là où on a créé le spectacle, pendant un jour de tempête incroyable au mois d’août, dans une forêt qui est juste en dessous de la salle et dans les lieux de vie du théâtre.

MarCel : un mot sur vos deux acteurs, Laurent Papot, Déborah Rouach, qui restent près de deux heures très intenses sur scène  ?

Séverine Chavrier : ils sont courageux, ils sont très forts. Laurent Papot, j’ai toujours travaillé avec lui. Il lit beaucoup, il rentre vraiment dans la dramaturgie. Il est actif sur les mouvements de plateaux, il invente beaucoup. En revanche, c’est ma première collaboration avec Déborah. Elle joue une magnifique partition (Cendrillon) dans Cendrillon de Joël Pommerat, et quand je lui ai donné le livre, elle m’a dit « mais je ne comprends pas, il n’y a pas de rôle d’enfant ». Ça a été tout un travail pour elle d’assumer ça. J’aime sa force d’incarnation, sa concentration, sa sensibilité, son écoute…

MarCel : vous donnez une dizaine de représentations ici. Vous avez prévu d’aller dans d’autres salles, d’autres villes ?

Séverine Chavrier : en ce qui concerne la tournée, des programmateurs viendront voir ce travail à Montreuil. Ce qui est intéressant, c’est de dire qu’on va travailler encore et faire grandir le spectacle. Dès qu’on a un plateau, on essaie de s’en servir pour travailler.

MarCel : êtes-vous tentée par la reprise d’une autre œuvre de Faulkner ?

Séverine Chavrier : oui, j’aimerais beaucoup. Notamment, il y aurait quelque chose à chercher sur les enfants chez Faulkner. Mais il y a une question de moyen car la distribution serait importante. C’est pour ça que j’avais choisi cette œuvre. Mais tout est magnifique chez Faulkner. C’est assez incroyable. J’ai lu des nouvelles récemment… j’avais plus de mal avec les nouvelles, parce que ce sont des prototypes de ses romans. Et il y a aussi de vraies enquêtes ! Les Snopes, par exemple, pourrait faire des feuilletons incroyables au théâtre. Mais les romans qui me touchent le plus, ce sont quand même Le bruit et la fureur et Absalon, Absalon ! Lumière d’août est magnifique dans un style beaucoup plus fluide. Et on pourrait dire aussi que le son est important dans son œuvre. C’est ça qui m’a frappée. Par exemple, dans Le bruit et la fureur, pendant tout le premier chapitre, le gamin hurle ! Et dans Tandis que j’agonise, le fils fait le cercueil de sa mère, donc sur scène ça ferait un son énorme tout le temps. C’est assez rare en littérature que le son soit aussi décrit et puissant.

MarCel : vous êtes très sensible à l’univers de Faulkner. Y-a-t-il aujourd’hui en France un comédien, un metteur en scène, un réalisateur… chez qui cet univers pourrait aussi résonner ?

Séverine Chavrier : tout le cinéma de Bruno Dumont. Le film Twentynine palms me paraît très proche des Palmiers sauvages. À mon avis, c’est le cinéaste le plus faulknérien. A cause peut-être de cette grande place donnée à la campagne, dans un cinéma si peu bavard et tellement organique.

MarCel : Pour finir, qu’est-ce qui vous touche particulièrement chez William Faulkner ?

Séverine Chavrier : sa grande force, c’est l’humanité… et cette espèce de condamnation, de choix de l’obsession plutôt que de la liberté. Pour lui, être vivant c’est tenir une seule obsession, beaucoup plus que toutes les idées de bonheur que l’on nous vend aujourd’hui.

Photo de Séverine Chavrier © Jules Zingg

Pour en savoir plus :

Marie

J'aime prendre le train, lire et marcher en même temps, manger des gâteaux chinois au soja achetés dans un magasin douteux de Belleville, cueillir des mûres, lire des histoires de princesse à mes princesses, lire des histoires de prince à mon prince, zoner dans les boutiques de musée, dénicher des aimants de frigos ringards à la fin des voyages, écouter Glenn Gould et Nigel Kennedy, faire du vélo en jupe avec le vent de face…

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