19 avril 2024

« Le Faiseur » : un après-midi à Vitry avec Balzac

Dimanche 27 septembre, à 16h00, le théâtre Jean Vilar de Vitry ouvrait la saison avec Le Faiseur de Balzac. On pouvait penser que Balzac n’attirerait pas les foules, et en plus le soleil brillait ! Qui allait venir s’enfermer dans un théâtre de banlieue pour voir une pièce de ce vieux Balzac ? Et puis Balzac, c’est l’auteur de La Comédie humaine, il a écrit du théâtre ? Ou est-ce qu’on va encore nous proposer une de ces insipides adaptations de textes même pas écrits pour le théâtre ? Renonçant au soleil et aux préjugés, nous sommes partis pour Vitry… Le public était là, la salle était pleine ! Et ce fut un grand moment de théâtre ! Un de ces moments magiques où il y a une osmose entre toute la troupe des acteurs et les spectateurs, où l’on partage l’émotion, le rire, car on rit beaucoup dans cette pièce.

Le Faiseur est bien une pièce de théâtre écrite par Balzac en 1840 ; elle ne fut jouée qu’après sa mort et eut peu de succès. C’est Jean Vilar qui lui redonna vie en 1957. Et ce n’est donc pas étonnant que Robin Renucci et sa troupe des Tréteaux de France aient repris cette pièce, eux qui œuvrent pour un théâtre populaire et exigeant.

Ce sont donc bien les mots de Balzac que nous entendons, même si il y a eu une adaptation, nous y reviendrons. Et un Balzac diablement d’actualité ! Il y est question de dettes, de spéculations, de Bourse et d’argent virtuel qui passe de mains en mains, de banquiers, d’hommes d’affaires véreux, de créanciers qui ne parviennent pas à se faire payer.

L’argument de la pièce est le suivant : l’homme d’affaires Mercadet est ruiné, il a accumulé les dettes, les créanciers défilent mais Mercadet ne se démonte pas, c’est un génie de la manipulation, il assure à tous ces usuriers, ces spéculateurs qui réclament leur argent, qu’il attend son ancien associé Godeau (tiens, Godot ?) qui doit revenir des Indes avec une fortune. Pour se tirer d’affaire, il décide de marier sa fille Julie (qui est évidemment amoureuse d’un autre homme et, en plus, est laide) avec un homme qu’il croit riche, Michonnin de La Brive et qui, bien sûr, ne l’est pas. La pièce tourne en dérision tout ce petit monde de la finance, ces escrocs qui se trompent les uns les autres. La dette (le mot ne sonne que trop souvent à nos oreilles) semble virevolter de l’un à l’autre, c’est à qui mentira le mieux pour faire fructifier l’argent qu’il n’a pas… On rit beaucoup dans cette pièce, on rit d’autant plus que le choix de la mise en scène accentue le burlesque des personnages et de la situation.

D’abord, l’espace scénique est surprenant : une sorte d’estrade vide au centre, légèrement surélevée par rapport aux côtés où il y a des amas de meubles, comme si on était en plein déménagement. Les Mercadet vont entreprendre des travaux d’embellissement, il s’agit encore de tromper son monde. Cela donne le mouvement, les acteurs sautent d’un espace à l’autre, de l’ombre à la lumière, pour jouer leur rôle et, entre temps, sont à la fois spectateurs, accessoiristes et même parfois forment une sorte de chœur. Robin Renucci, lors de la discussion avec le public après la représentation, expliquera que cela facilite les nombreuses entrées et sorties, en particulier dans les théâtres où il n’y a ni portes ni coulisses… Les acteurs restant sur scène, cela permet « un va-et-vient jubilatoire entre les personnages du XIXème siècle et les acteurs du XXIème siècle ». C’est vrai que c’est amusant, que ça donne un rythme pétulant à la pièce, que ça rappelle le théâtre dans le théâtre de l’époque baroque plus qu’une distanciation à la Brecht…

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Puis, les acteurs ressemblent à des caricatures de Daumier, ce sont des grotesques avec leurs faux ventres, leurs faux derrières. Il faut saluer le travail remarquable de Thierry Delettre pour les costumes, de Jean-Bernard Scotto pour les perruques. Les robes de Julie et de sa mère avec d’énormes manches accentuent l’effet comique, mais la coiffure et le maquillage renvoient à des tableaux de 1830-1840, par contre les perruques de la servante et du valet sont faits de sortes de fils qui échappent au réalisme. Julie a un faux nez discret, il faut bien montrer qu’elle est laide. Son amoureux Adolphe Minard est tout engoncé dans son costume étriqué. Et le faux Godeau arrive à la fin avec un turban qui évoque bien sûr le grand Mamamouchi de Molière. D’ailleurs on pense bien souvent à Molière au cours de la pièce, la servante et le valet, rusés, malins, nous sont familiers… Balzac était un romancier inventif, mais au théâtre, il suit ses maîtres, jusqu’à la farce…

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Après la représentation, une grande partie du public est restée pour échanger avec le metteur en scène et les acteurs qui ont été ovationnés. Les questions furent nombreuses et le débat passionnant. Robin Renucci nous a présenté le projet des Tréteaux de France qui travaillent sur une thématique, cette saison, sur « le travail, la richesse et la création de la valeur ». Il nous a rappelé aussi la vocation des Tréteaux de France qui est d’amener le théâtre à un public pas forcément habitué à fréquenter les salles de spectacle. C’est un théâtre itinérant qui peut donc être joué dans toutes sortes d’endroits. Cela nous a éclairés aussi sur les contraintes de la mise en scène, le décor est démonté après chaque spectacle. A Vitry, c’était plutôt sans doute un public d’habitués, la discussion montrait que le théâtre est un divertissement qui fait réfléchir… dans la salle fusaient les allusions à l’actualité et le Mercadet d’aujourd’hui pourrait bien s’appeler Tapie ou Madoff…

Très intéressant aussi fut l’échange avec Evelyne Loew qui a adapté la pièce de Balzac. Elle a répondu aux nombreuses questions des spectateurs : oui, c’est bien le texte de Balzac, qu’elle a simplement condensé et raccourci pour que la pièce dure moins de 2h00 – elle était beaucoup plus longue et il y avait beaucoup plus de personnages. Et la chanson finale (désopilante) est de son cru…

Nous avons aussi vu les acteurs débarrassés de leur maquillage et pu apprécier tout le travail qui avait été fait, puisque nous avions du mal à les reconnaître… Et Julie, libérée de son faux nez est très jolie, c’était parait-il son premier rôle, elle était excellente, comme tous les autres d’ailleurs.

Voilà, courez voir Le Faiseur qui va circuler à travers toute la France.

Pour en savoir plus :

Denise M.

Pas d’état civil, ni dieu ni maître, je ne me définis que par mes passions. Pêle-mêle : Duras, Céline, Colette, Pascal et Simenon, Kundera, Modiano, Auster et Aswany et plein d’autres. Au cinéma Resnais d’abord, Tati, Fellini, Chabrol, Varda pour les vieux ; Ozon, Desplechin, Audiard, les Coen, Dolan, stop, c’est frustrant de ne pas pouvoir les citer tous. (Et les Argentins, les Japonais, les Coréens et… et…). À part ça, piéton de Paris, la seule ville où on peut vivre… et sinon me baguenauder à travers le monde, en Asie, en particulier, sans rien organiser…

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