29 mars 2024

Encore des mots, toujours des mots… quelques soirées à l’Odéon-Théâtre de l’Europe

Cela fait maintenant plusieurs semaines que nous avons la chance de nous rendre aux rencontres organisées dans le cadre des Bibliothèques de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Ces bibliothèques sont d’une richesse incroyable, et offrent à tous les publics de belles et diverses opportunités de découvrir ou redécouvrir les mots, les livres, les auteurs, les idées, les courants… pour moi, c’était d’abord la réponse idéale à mon enthousiasme plus que débordant à la lecture de chaque livre de Ian McEwan, auteur britannique immensément talentueux.

J’ai acheté deux places, assez près de la scène, au milieu du rang, pour satisfaire la fan en moi. Mais surtout, j’ai écouté l’écrivain pendant près de deux heures, avec intérêt et attention, me (enfin nous…) raconter comment il écrit, pourquoi il écrit, ce qui le touche, ce qui l’anime, avec quel engagement il construit chaque histoire, en cherchant, en apprenant. En vivant chaque livre comme unique. En faisant de chaque œuvre une expérience inédite.

Cette rencontre avec Ian McEwan, dont plusieurs textes étaient lus, pour l’occasion, par la comédienne Amira Casar, était animée par Sylvain Bourmeau, journaliste sur France Culture, radio partenaire, et organisée à l’occasion de la sortie du dernier ouvrage de l’anglais, L’intérêt de l’enfant. Je l’avais déjà lu, en anglais dans le texte, plusieurs mois auparavant et j’avais donc emmené avec moi mon précieux exemplaire de The children act, en caressant l’espoir d’une dédicace. The children act, c’est, une fois de plus, un livre merveilleux, mais pas mon préféré pourtant. Ian McEwan y parle de Fiona Maye, une brillante magistrate spécialiste du droit de la famille, au cœur de bouleversements personnel et professionnel.

mcewan, ian

Ian McEwan est un exceptionnel narrateur, sachant captiver son lecteur, dès les premières phrases, dès les premiers mots. Chacun de ses livres est une aventure dans laquelle on est emmené, sans pouvoir, et finalement sans vouloir, résister. Je n’ai pas tout lu. J’ai encore devant moi de grands moments de bonheur littéraire (avec McEwan et d’autres d’ailleurs…). Mais parmi les livres que j’ai presque tous dévorés, je ne saurais vous en conseiller un plus que l’autre. Alors piochez donc dans « ma » liste : Solaire, Délire d’amour, Samedi, Expiation, Un bonheur de rencontre, Les chiens noirs, Sur la plage de Chesil, L’enfant volé

Après ces deux heures, j’ai sagement fait la queue (bien trop modeste pour un tel talent) et ai tendu mon livre à cet auteur discret, caustique, intelligent. « To Mary ». Voeu exaucé.

Quelle belle histoire, n’est-ce pas ? Une belle histoire qui continue, puisque le lundi suivant, j’étais de retour au Théâtre de l’Odéon, pour une soirée placée sous le thème de l’exil et sous l’autorité d’Alexandre Soljenitsyne.

soljenitsyne

En compagnie, cette fois, de Paula Jacques, de Michel Vuillermoz et de Georges Nivat, historien et traducteur du grand auteur russe, nous avons parcouru le siècle et les ouvrages (de moi trop méconnus), dont ce qu’il est désormais coutume d’appeler les deux « cathédrales » d’écriture, L’Archipel du Goulag, sur la fabrique d’inhumain en utopie, et La Roue rouge, sur le « déraillement » de l’histoire russe.

Le livre au cœur des vies, de toutes les vies. La mienne, les leurs. Celle aussi de François Maspero, véritablement célébré quelques jours plus tard, dans une salle pleine, dense, et tendue d’émotion. Un parterre d’écrivains, d’intellectuels, d’amis, de militants, réunis tous pour rappeler l’engagement douloureux et utile de celui qui fut marqué à vie par la disparition de son frère tué par les nazis.

Ils étaient tous présents pour faire entendre de nouveau ses mots d’éditeur et d’auteur de gauche, combattant infatigable, ou presque. Tous, c’était Michel Piccoli, assis là-haut, au balcon, et qui pour l’occasion avait écrit quelques lignes :

« Doit-on parler de François Maspero ?
Ecrire sur François Maspero ?
Sur la férocité de vivre de F. M. ?
Du combat pour la vie de F. M. ?
De l’invention des « Editions F. M. »
Oui. Puis vite se taire et point à la ligne.
La pudeur de F. M. Ne pas encenser.
Pas de nostalgie.
Homme de douleur, de terreur, de douceur, de fidélité.
Le laisser intacte.
Plus en fureur encore aujourd’hui.
Héros d’hier et d’aujourd’hui.
Homme phare. »

Tous, c’était aussi Leïla Shahid, Régis Debray, Annie Morvan, Bruno Guichard, Selma Hellal, Marcel-Francis Kahn, Akila Aïssat, Edwy Plenel, Jean-Yves Potel, Julien Hage, Nils Andersson, Catherine Arditi, Capitaine Alexandre et Benjamin Stora. Nombreux mais pas encore suffisants pour dire toute la richesse d’une vie.

François Maspero a sans doute regardé cette vie bien en face, sans concession, sans illusion.

Svetlana Alexievitch, récent Prix Nobel de Littérature, ne s’est pas non plus cachée ou protégée de la douleur, des drames, et des angoisses. Elle aussi a honoré les Bibliothèques de l’Odéon de sa présence. Invitée bien avant d’être lauréate, Svetlana Alexievitch fait partie de ces quelques auteurs menant une démarche documentaire, et presque ethnologique.

Elle écoute, elle raconte, elle s’imprègne, elle libère aussi les paroles parfois tues. Elle donne du sens aux silences et aux larmes. Elle dit pour les autres, pour ceux qui ne savent pas, ne veulent pas, ne peuvent pas. Depuis la Russie socialiste, en passant par Tchernobyl et par l’Afghanistan, en compagnie de nouveau de Sylvain Bourmeau et de Feodor Atkine, elle nous a fait traverser le temps et les frontières. Pour notre plus grand bien.

Et au milieu de tout ça, des livres, des mots, des histoires, des auteurs, des qui creusent, des qui souffrent, des qui pensent, des qui nous nourrissent, des qui cherchent. Chacune de ces soirées (et les prochaines, souhaitons-le) m’a permis de grandir, un peu.

PS : parce qu’on aime découvrir, parce qu’on aime apprendre, on a rencontré Marylène Boulland, Responsable des Bibliothèques de l’Odéon, et Olivier Borderie, Secrétaire général de L’Odéon-Théâtre de l’Europe, une institution placée depuis 2012 sous la direction de Luc Bondy. Interview à venir dans un prochain article…

Pour en savoir plus :

Marie

J'aime prendre le train, lire et marcher en même temps, manger des gâteaux chinois au soja achetés dans un magasin douteux de Belleville, cueillir des mûres, lire des histoires de princesse à mes princesses, lire des histoires de prince à mon prince, zoner dans les boutiques de musée, dénicher des aimants de frigos ringards à la fin des voyages, écouter Glenn Gould et Nigel Kennedy, faire du vélo en jupe avec le vent de face…

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