19 avril 2024

« El Tigre », la cage aux cinéfolles

El Tigre © Alejandra Lopez

Découvrir l’univers baroque et loufoque du dramaturge argentin Alfredo Arias avec El Tigre n’est peut-être pas la meilleure entrée en matière. Certes, il ne faut pas prendre cette fantaisie musicale trop au sérieux. Alfredo Arias lui-même explique en début de spectacle qu’il s’est inspiré des « Christmas pantomimes », parodies anglaises de contes célèbres, remplies de chansons et d’hommes travestis en femmes. El Tigre se veut donc une sorte de conte de Noël dans cette veine : déjanté, haut en couleurs et riche en chansons – la partition est signée Bruno Coulais.

Nous voici donc dans les îles El Tigre, au Nord de Buenos Aires, chez Mme Holy (Holy… Wood ?), homme femme fatale cinéphile, flanquée d’un serviteur français qu’elle accoutre en domestique noire pour rejouer le mélo de Douglas Sirk Mirage de la vie. Ils/elles attendent des amies dont l’une doit incarner Lana Turner, mais c’est finalement une Indienne qui débarque chez eux/elles avant que la vraie Lana Turner, jouée par une Arielle Dombasle très amusante et visiblement amusée, revenue d’entre les morts, ne s’invite à son tour, suivie de peu par sa fille et, dans le troisième acte, Vampira, personnage extraterrestre échappé d’un film du roi du nanar, Ed Wood.

Autant dire que, question livret, le fantasque frôle carrément le foutraque. Côté texte, on oscille entre le délirant rigolo, avec des répliques parfois drôles, et le n’importe-quoi ridicule, avec jeux de mots éculés. Kitsch s’y frotte s’y pique… les yeux : décors, costumes, jeu des acteurs, tout est un peu trop exagéré pour fonctionner réellement. On dit souvent que la comédie est une question de tempo. Étrangement, malgré la bonne volonté de tous les comédiens, qui ne déméritent pas, il manque quelque chose pour que ce vaudeville musical soit tourbillonnant et ébouriffant comme promis. Un trop léger ou au contraire trop grand décalage grippe la machinerie. Par ailleurs, la musique composée par Bruno Coulais n’est pas mal, mais manque d’airs vraiment flamboyants pour porter haut cet objet théâtral non identifié, qui se rapproche finalement un peu plus de Plan 9 from outer space que de Mirage de la vie – malgré moults clins d’œil cinéphiliques et un hommage à l’esthétique sirkienne, notamment avec la grande fenêtre centrale. Dommage d’ailleurs que certains aspects plus sombres, comme la relation mère-fille, et qui auraient pu amener un peu de profondeur, soient dissous dans la pantalonnade.

Restent les comédiens talentueux. Particulièrement Arielle Dombasle, avec sa finissime silhouette irréelle. Elle chante parfois en forçant un peu trop mais offre aussi de belles montées dans les aigus. Icône kitsch et glamour, elle est naturellement farfelue avec quelque chose de touchant dans son côté artificiel. Une ambivalence trop sous-utilisée.

Au final, le spectacle n’est pas déplaisant, mais pas aussi exaltant que je l’espérais. Néanmoins, cette réserve ne m’empêchera pas de guetter avec curiosité la prochaine création de M. Arias.

Pour en savoir plus :

Céline

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4 réflexions sur « « El Tigre », la cage aux cinéfolles »

  1. Je n’ai pas vu ce spectacle, mais j’en ai vu d’autres d’Alfredo Arias, et j’ai toujours eu cette impression que tu décris, Céline, de quelque chose à la fois curieux et touchant et, en même temps, inaccompli… Etrange, non?

    1. C’est le premier que j’ai vu, depuis le temps que j’en entends du bien… Pas très convaincue – et je pense que c’est loin d’être son meilleur (avis confirmé par Rémy qui m’avait invitée). Tu as vu quoi, toi ?

  2. A la fin des années 80, j’avais vu un très étonnant « Jeu de l’amour et du hasard » (Marivaux) où les comédiens portaient des masques de singe. Intéressant, mais j’avais eu le sentiment qu’Arias n’avait pas porté son idée (l’animalité des homme sous le vernis de cette langue si policée ?) assez loin.

  3. … et puis j’ai vu à la télé, plus récemment, une retransmission de « Concha Bonita », et là, ça ne m’a pas plu du tout, je crois même que je ne l’ai pas suivie jusqu’au bout.

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