28 mars 2024

« Cet enfant » de Joël Pommerat : la famille à drames

Après la sonate d’hiver cinématographique (Winter sleep de Nuri Bilge Ceylan) dont je vous parlais il y a quelques jours, voici la sonate d’automne, tout aussi troublante, qui se joue actuellement aux Bouffes du Nord (Paris) et dont le thème rejoint un peu d’ailleurs le film de Bergman. Cet enfant, reprise d’une création de Pommerat, il y a huit ans, a été montée à partir d’une commande de la CAF du Calvados. D’une radicale et puissante sobriété, la pièce n’a nullement vieilli et s’adresse, avec une violence bouleversante, à ce qu’il y a de plus intime en nous : notre rapport à la parentalité, la filiation… Une heure dont on ne ressort pas indemne.

Cet enfant est une pièce dense et relativement courte – à peine plus d’une heure – qui, lorsque les lumières se rallument, laisse quelque peu pantelant. Sans doute le sujet, et la façon dont il est traité, nécessitaient-ils une durée si resserrée car l’ambiance y est pesante, si ce n’est déprimante.

A partir de lectures et de sa propre vision de la famille, Joël Pommerat a composé dix saynètes, différentes mais qui se répondent subtilement, peignant la complexité et l’ambiguïté des relations parents-enfants. Autant le dire d’emblée, aucune d’entre elle n’est heureuse ou joyeuse, malgré des moments grotesques où une forme d’humour très noir se mêle à une atmosphère étrange et dérangeante (la scène à la morgue). Dans le public, certains n’hésitent pas à rire. Défense ? Pour ma part, j’ai eu beaucoup de mal, ne voyant que tragédie dans tous ces portraits d’enfants et parents en mal d’amour, en manque de communication, en mode domination-soumission-incompréhension.

Cela débute par une gamine qui se met soudain à vouvoyer son père et lui déclare, avec un détachement qui fait froid dans le dos, qu’elle ne sera pas triste de ne plus jamais le revoir. Un peu plus tard, une jeune femme scande de plus en plus fort, tout ce qu’elle fera, réussira enfin à faire, lorsque son enfant naîtra, comment elle prendra sa revanche sur la vie, grâce lui et plus particulièrement, comment elle se vengera de sa mère qui « en crèvera » de les voir heureux, elle qui a rendu ses enfants si malheureux. C’est long, gênant, poignant. Ici, un adolescent insulte (et bat ?) un père qu’il méprise. Là, une mère seule et castratrice ne sait plus si elle doit traiter son fils de 10 ans en enfant, confident ou… amant (il ne l’embrasse plus assez) ? D’autres scènes, tout aussi fortes, mais qu’il ne faut pas trop dévoiler, s’enchaînent, parfois entrecoupées de musique blues ou rock avec l’illusion d’un groupe de musique en arrière-plan.

La mise en scène est économe en moyens. Hormis le faux groupe de musique derrière une toile opaque, aucun décor ; tout au plus une ou deux chaises. On retrouve les clairs-obscurs tranchés d’Eric Soyer aux lumières, qui donnent ce halo d’étrangeté aux pièces de Pommerat. Comme une angoisse diffuse, un rêve de cauchemar, amplifié par la sonorisation au micro des comédiens. Ceux-ci sont, comme toujours, formidables. D’une justesse ! Ils délivrent un texte à la fois très simple, très courant, avec une force et un naturel qui en font jaillir une forme de « poésie de l’ordinaire ». Ainsi la tirade finale de la mère qui rencontre ses voisins – bien que je n’aie pas totalement adhéré à la façon dont elle le clame, le texte est magnifique. J’en avais la gorge serrée. C’est une pièce de mots et de parole avant tout. Entre cris et chuchotements.

Cet enfant nous renvoie à nos propres névroses, failles, blessures, questionnements, sur le lien familial. C’est sombre, souvent assez cruel, d’autant plus que le texte et la mise en scène sont secs. Un peu courte à mon goût, la pièce m’a légèrement laissée sur ma faim mais pourra saisir ceux qui ne connaissent pas encore Pommerat. Elle pourrait former un beau diptyque désenchanté avec l’excellent La réunification des deux Corées, vingt saynètes sur l’amour, cette fois-ci (bien que Pommerat ne le nomme jamais), qui passe à l’Odéon du 10 décembre 2014 au 14 janvier 2015.

Nous ne saurions trop vous recommander d’aller voir les deux.

Photo © Elizabeth Carecchio

Pour en savoir plus :

Céline

J'aime bidouiller sur l’ordinateur, m’extasier pour un rien, écrire des lettres et des cartes postales, manger du gras et des patates, commencer des régimes, dormir en réunion, faire le ménache, pique-niquer, organiser des soirées ou des sorties « gruppiert », perdre mon temps sur Facebook et mon argent sur leboncoin.fr, ranger mes livres selon un ordre précis, pianoter/gratouiller/chantonner, courir, "véloter" dans Paris, nager loin dans la mer…

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