25 avril 2024

François, Hyacinthe et Rose

Dans le cocon douillet du Théâtre de l’Atelier, François Morel, d’une voix chaude et encourageante, nous a invités à nous remémorer l’enfance d’un petit parisien visitant chaque été ses grands-parents. Une évocation qui, bien sûr, a emmené chaque spectateur (et moi en tout cas…) à repenser, ému et amusé, à sa propre enfance et à ses mystérieux aïeux.

Le spectacle ne dure qu’une petite heure, pendant laquelle François Morel, accompagné par les musiques d’Antoine Sahler, convoque des souvenirs d’enfance avec la tendresse de celui qui sent le temps passer. Ces souvenirs, ce sont ceux d’un jeune garçon qui retrouve chaque année Hyacinthe, son grand-père communiste, râleur et ronchon, et Rose, sa grand-mère pour qui les blouses en nylons constituent le symbole ultime de la modernité.

« C’est bien simple : Rose et Hyacinthe, mariés depuis quarante-cinq ans, ensemble depuis toujours, ne s’entendaient sur rien. Hyacinthe était coco, Rose était catho. Hyacinthe aimait boire, Rose aimait manger. Hyacinthe aimait la bicyclette, la pêche à la ligne, le vin rouge, la belote et les chants révolutionnaires. Rose préférait les mots croisés, le tricot, l’eau de mélisse, les dominos et les cantiques. Hyacinthe aimait traîner… à table, au lit, au bistrot, avec les copains, sur un banc, dans un champ, sur les talus, à observer les nuages… « Tu n’es qu’un Traînard », lui disait Rose qui était toujours la première debout, la première couchée, la première assise à table, la première levée de table, le repas à peine terminé déjà devant l’évier à nettoyer la vaisselle. « Madame Gonzales » l’avait surnommée Hyacinthe. En souvenir de Speedy. Ils avaient dû s’aimer mais c’était il y a longtemps. Il est même probable qu’ils aient pu faire l’amour. L’existence d’une descendance de douze enfants, de neuf petits-enfants le laisserait fortement supposer… »

A travers ce journal de bord, merveilleusement écrit et conté par François Morel, on repense nécessairement, chacun sur notre fauteuil, à nos pépés et nos mémés. A ces gens que l’on n’a connus que dans leur troisième âge, que retraités, que déjà vieux et abîmés par la vie, que déjà enfermés dans un ronron du quotidien dont on ignore tout du pourquoi et du comment.

Sur scène, François Morel égrène, grinçant, vif et bienveillant, ces petits moments de vie, parfois assis, couché sur le sol, ou encore debout derrière un pupitre, pour de mémorables sermons du curé du coin ne pouvant s’empêcher de remercier Dieu pour les pétales, les couleurs, la diversité… bref, la richesse du jardin de Hyacinthe et Rose.

© Manuelle Toussaint

Alors, au fil des minutes, on devient, nous aussi, intimes de ces deux vieux qui vivent au milieu des fleurs. Mais surtout, on sent affluer, au bord de notre coeur, ces souvenirs d’enfance, les bons et les mauvais, les drôles et les pénibles, les habitudes et les manières dont on n’a pas compris, ou alors pas tout de suite, qu’il y avait une raison, et que c’était la vie.

Barbara ne serait pas d’accord avec moi, elle qui disait que “parmi tous les souvenirs, ceux de l’enfance sont les pires, ceux de l’enfance nous déchirent”. Mais, malgré la fibre que Barbara fait toujours vibrer en moi, je vous encourage (et je ne suis pas loin de vous ordonner) à aller passer cette petite heure avec François, Antoine, Hyacinthe et Rose, et à laisser votre mémoire vagabonder, piocher et faire revivre un peu des bribes du passé. Pensez-y avec tendresse. Souriez. Pleurez. Repensez à eux, repensez à vous, et à la vie qui est passée par là.

Pour en savoir plus :

Marie

J'aime prendre le train, lire et marcher en même temps, manger des gâteaux chinois au soja achetés dans un magasin douteux de Belleville, cueillir des mûres, lire des histoires de princesse à mes princesses, lire des histoires de prince à mon prince, zoner dans les boutiques de musée, dénicher des aimants de frigos ringards à la fin des voyages, écouter Glenn Gould et Nigel Kennedy, faire du vélo en jupe avec le vent de face…

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Une réflexion sur « François, Hyacinthe et Rose »

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