29 mars 2024

« La Nostalgie des blattes » de Pierre Notte au Petit Saint-Martin (reprise)

Texte et mise en scène : Pierre Notte
Pour et avec Catherine Hiegel et Tania Torrens

Au Théâtre du Petit Saint-Martin, c’est une reprise de la pièce jouée au Rond-Point, en septembre 2017. Si, comme moi, vous l’avez ratée l’année dernière, courez-y vite ! (La dernière est le 29 décembre). C’est une des meilleures soirées que nous ayons passée au théâtre depuis longtemps…

D’abord le titre : un oxymore pareil, ça vous intrigue, vous interloque, vous fait rire jaune et vous supputez que ça ne va pas être triste. Pierre Notte, Pierre Notte ? C’est lui qui a écrit Moi aussi je suis Catherine Deneuve, spectacle qui, à l’époque, nous avait réjouis. Et puis il y a Catherine Hiegel et Tania Torrens, ces deux immenses actrices de la Comédie française. Et Pierre Notte a écrit la pièce pour elles, et elles ont participé à l’écriture. Ça ne dure qu’une heure un quart, par les temps qui courent où le moindre des films dure forcément plus de deux heures, ce n’est pas négligeable… Alors ? On essaie !

Sur le plateau, rien, juste deux chaises et sur ces deux chaises, deux vieilles, chacune leur territoire, la chaise et son petit carré autour. Elles ne bougeront pas, elles sont vieilles, elles attendent. Qui ? On ne sait pas trop, d’éventuels visiteurs. Jadis, sur une scène, deux types bizarres attendaient Godot et bien sûr, le spectateur pense à Beckett, Pierre Notte aussi, on peut supposer qu’il lui rend ici une sorte d’hommage qui serait une variation sur son univers étrange et désespéré, mais la situation s’est encore aggravée… On est projeté dans un univers futuriste (à peine…) Nos deux vieilles sont les dernières, elles sont – peut-être – dans un musée, où on peut venir voir les ravages de l’âge, elles revendiquent et assument leur vieillesse, pas de botox, pas de crème régénérante. Ah ! les trouvailles de langage pour décrire la décrépitude ! je vous laisse les découvrir, mais c’est désopilant ! Parce qu’on rit beaucoup dans la salle, et tous, jeunes et vieux, les uns sans doute parce qu’ils conjurent la peur de ce qui les attend, les autres parce que rire de ses misères mène à la sagesse et, disons-le, c’est un exercice vivifiant que de se rebeller contre le jeunisme obligatoire, il faut garder la forme, s’entretenir, faire du sport… Et c’est justement tout cela qu’elles ont refusé, nos deux vieilles (et moi, ça me réjouit d’employer ce terme au lieu de cet insipide « troisième âge ») Et en plus, elles fument ! Parce que bien sûr, c’est interdit, dans ce monde aseptisé, sans gluten, sans sucre, sans alcool, tout est bon pour la santé, c’est l’hygiène parfaite ! y a plus rien, même plus d’insectes nuisibles, alors forcément, la nostalgie…
Et elles ne nous épargnent rien, elles jouent, elles mettent en scène, vous verrez… L’Alzheimer, la maladie de Parkinson ; et bien pire encore, seules des comédiennes de cette trempe peuvent se permettre de parler crûment de la déchéance des corps sans jamais tomber dans le mauvais goût ni la vulgarité : c’est une prouesse !

Chacune tient sa partition avec maestria, et une économie de moyen époustouflante, un pied qui s’agite, un froncement de sourcil, un rire sarcastique, une chaise qu’on tire pour délimiter son territoire. Toute une palette des relations humaines est évoquée : elles se disputent, se détestent, se consolent, se moquent l’une de l’autre puis… rient ensemble.

Certains ont trouvé la mise en scène minimaliste, deux chaises, quelques effets de lumière, le bruit inquiétant de mystérieux drones. C’est tout et c’est bien ! Pas de graisse, pas de surcharge (tiens ! pas de vidéo…) juste l’essentiel : deux comédiennes géniales qui servent un beau texte de théâtre qui ne nous assène pas un message, mais nous fait ressentir de l’émotion, et vivifie notre réflexion par le rire, parce qu’il y aurait quand même de quoi pleurer…

Photo : Giovanni Cittadini Cesi

Pour en savoir plus :

Denise M.

Pas d’état civil, ni dieu ni maître, je ne me définis que par mes passions. Pêle-mêle : Duras, Céline, Colette, Pascal et Simenon, Kundera, Modiano, Auster et Aswany et plein d’autres. Au cinéma Resnais d’abord, Tati, Fellini, Chabrol, Varda pour les vieux ; Ozon, Desplechin, Audiard, les Coen, Dolan, stop, c’est frustrant de ne pas pouvoir les citer tous. (Et les Argentins, les Japonais, les Coréens et… et…). À part ça, piéton de Paris, la seule ville où on peut vivre… et sinon me baguenauder à travers le monde, en Asie, en particulier, sans rien organiser…

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