23 avril 2024

Mylène Farmer : spectaculaire retour en forme d’adieu

Eh bien voilà, nous y sommes : le retour de Mylène Farmer sur scène six ans après sa précédente tournée, Timeless (lire ici). Et nous y étions. Un moment de toute beauté et d’une grande intensité, où la joie des retrouvailles le disputait à la tristesse de la séparation. Car, selon une hypothèse des fans, assez convaincante, il se pourrait bien que ce soit le dernier concert de la star ! Alors prenons le temps d’apprécier, morceau par morceau, ces deux heures extraordinaires. Nous n’aurons pas d’autre Mylène de sitôt dans le paysage musical français. (Attention : spoilers)

Balayons d’abord d’un revers de main les critiques de fans « blasés » qu’on voit fleurir ici et là, notamment sur les réseaux sociaux.

Oui, Mylène Farmer danse moins qu’avant, mais ce n’est pas une nouveauté. On avait déjà pu le constater en 2006 et particulièrement en 2013, mais cela ne nuit aucunement au spectacle. Elle est avantageusement entourée d’une quinzaine de danseurs superbes (tous roux !) qui font très bien le boulot, valorisée par une scénographie flamboyante et des costumes signés Jean-Paul Gaultier, d’une élégance qui souligne son charisme et son aura. Autant dire que, en mouvement ou statique, c’est toujours elle la patronne, et personne ne peut le nier.

Oui, il y a parfois quelques temps morts entre les morceaux. La scénographie, très impressionnante, doit sans doute être complexe et nécessiter probablement une grosse organisation en backstage. Bien sûr, la production pourrait meubler avec les danseurs, mais j’imagine que tout le monde a dû y penser et que si ça ne se fait pas, c’est qu’il y a une raison.

Oui, l’ambiance n’est pas aussi électrique qu’on pourrait l’espérer : mais j’avais déjà remarqué cela en 2006 aussi. Le public est tout de même assez vieillissant lui aussi – Mylène n’a pas vraiment réussi à renouveler ses fans, mais ceux-ci lui sont d’une fidélité absolue, ce qui est en soi un exploit. Dans le public (international : hier, j’ai entendu parler anglais, allemand et italien), on ressent plus de ferveur et de respect que d’hystérie, mais j’étais probablement trop loin des « ultras » (les fans extrêmes) pour mesurer la folie qu’elle peut encore provoquer chez certain·e·s. En tout cas, j’ai apprécié pouvoir chanter et danser en toute quiétude dans la fosse, ce qui n’était pas le cas il y a 20 ans, où l’on risquait de finir étouffé parmi des milliers de fans fous !

Mylène chante en playback, ou avec l’aide d’une bande son en soutien (il paraît que ça s’appelle « amplex »). N’étant pas technicienne du son, je ne saurais juger. Il est vrai que parfois, on entend comme d’autres voix derrière alors qu’il n’y aucune choriste visible et qu’elle n’ouvre pas toujours la bouche sur « L’Horloge », mais le son se rapproche de la sonorité live et si cela lui permet de chanter juste, notamment dans les hautes notes, tout en bougeant et faisant le show, je n’y vois pas d’inconvénient. Elle ne serait pas la seule, de nos jours, à user d’outils (coucou Auto-Tune) pour arranger la justesse de sa voix.

À vrai dire, j’ai du mal à comprendre les reproches que l’on peut faire à ce spectacle, unique en son genre. Pourtant, je suis la première à châtier ce que j’aime, à pinailler sur les artistes que j’adore. Bien qu’ayant pris mes places dès l’ouverture de la billetterie, j’y suis allée hier en traînant un peu des savates. Je n’avais pu, la veille, m’empêcher de lire les commentaires sur la première et ils paraissaient mitigés. De plus, la setlist me semblait, comme d’habitude, décevante. Il manquera toujours un morceau qu’on adore dans un concert, et j’étais déjà en train de me lamenter sur ce que je n’aurais pas, plutôt que me réjouir de ce que j’entendrais. Quoi ? Pas de « Beyond my control » ? Pas de « Je t’aime mélancolie » ? Pas de « XXL » ? Pas de « Désobéissance » ? Bref. La liste des manques serait longue.

Fatiguée et appréhendant la déception, je suis donc arrivée vers 20h15 à la Défense Arena (je ne dis pas bravo à la signalétique à la sortie du RER), seule, mes amis ayant préféré faire la queue dès 17h pour être bien placés en fosse. Détendue, les mains dans les poches, j’ai fait un petit tour au stand de merchandising puis de frites (à l’intérieur même de l’Arena, excellentes, soit dit en passant !), avant de rentrer dans la salle.

Je viens d’être surclassée, sans savoir pourquoi !

En passant le tourniquet pour « badger », j’avise deux jeunes filles qui sont plantées dans le hall d’entrée avec des sachets de bracelets en tissu. Je m’approche pour regarder ce que c’est et leur demander s’il s’agit d’une marque pour entrer et sortir de la salle, et surprise incroyable ! Je viens de gagner un surclassement en fosse or (le double du prix de mon billet « de pauvre ») !

Après avoir englouti mes frites en deux minutes, je pénètre enfin dans l’arène colossale. 27 000 personnes attendent dans un brouhaha diffus, parfois entrecoupé d’applaudissements et cris. Les gens sont plutôt calmes, ce qui me rassure. Je réalise que j’ai bien accès à la fosse or (j’ai cru jusqu’au bout que c’était une blague), j’aperçois même mes amis quelques mètres derrière et, sereine, je me rapproche, dans la mesure du possible, de la scène, enfin ravie d’être là.

Vers 21h, les lumières s’éteignent dans une immense clameur. Sur des écrans disposés en l’air en plusieurs endroits, des visages de femmes sont projetés, déformés, vaguement inquiétants. Après quelques minutes qui semblent interminables, tous les regards se lèvent au « ciel ». Sur les premières notes d' »Interstellaires », de l’immensité d’un noir absolu, seulement éclairé d’un triple cercle de spots bleus, descend un croissant de lune lumineux, dans lequel Mylène, bien droite, se tient, vêtue de noir (magnifique tenue sanglée de ceintures), sa chevelure rousse flamboyant dans ce halo. L’émerveillement peut commencer.

« Petit Papa Mylène, quand tu descendras du ciel… »

Et il commence avec un super tryptique de chansons. Une première énorme surprise : « Sans logique », titre jamais chanté en live depuis 30 ans et qui fait partie de mes morceaux préférés. Le son est clair, la voix se détache bien, et la rythmique entraînante du refrain chauffe le public. Mylène elle-même est absolument magnifique, radieuse, moins botoxée que lors du dernier concert, avec une coiffure toute simple mais qui lui sied. Le temps semble n’avoir aucune prise sur son visage ou son corps parfait (des jambes et fesses de jeune femme hallucinantes).

On enchaîne avec « Rolling stone », très efficace (tout le monde entonnant les « La la la »), puis « Pourvu qu’elles soient douces », le hit de mon enfance. Qu’est-ce que j’aime cette chanson. J’en ai les larmes aux yeux de bonheur.

Arrive un duo virtuel avec Sting. Déjà, en 2013, je n’avais pas trop adhéré au concept, avec Moby en projection, mais visiblement, ça lui fait plaisir de montrer le visage de Sting en très gros plan. Ce n’est pas ma chanson préférée mais, en live, son côté dansant, que je n’avais jamais remarqué (puisque je ne l’écoute jamais), est plutôt plaisant.

Après quoi, « Des larmes », l’un des meilleurs morceaux de son dernier album, Désobéissance, fait groover la foule, suivi du classique « California » réarrangé plus rock, sur fond de sirènes et radios de police.

Même si c’est la fête dans la salle, en arrière-plan, on comprend que le propos est plutôt sombre. Les projections vidéos montrent des choses anxiogènes : des villes dystopiques dans une ambiance futuriste apocalyptique, des formes humaines dégonflées qui font un peu penser au travail d’Extraweg (je serais curieuse de connaître le nom de l’artiste), des symboles sanglants… On retrouve le côté gothique de l’artiste, mais presque « politique ». C’est particulièrement flagrant sur « M’effondre », tiré de Bleu Noir (2010), qui se termine par une répétition, telle un mantra, de la phrase « Jusque-là tout va bien » dans une belle montée en tension.

Sur « L’Âme-stram-gram », tout le monde chante, avant le passage de chansons douces / larmes de Mylène. Un très beau choix, selon moi : « Un jour ou l’autre », d’une délicatesse absolue, avec cette voix aiguë, frémissante, sur le fil, qui espère l’amour et l’union (ces « océans qui se mettent à genou » me mettent justement à genou), « Ainsi soit-je », un autre classique, qui fonctionne toujours, dans un souffle ému et, surtout, un « Innamoramento » dans une sublime version dépouillée au piano, qui donne toute sa puissance aux paroles (une petite erreur d’ailleurs durant la chanson ?), se terminant par l’arrivée massive de l’orchestration, guitare électrique et batterie puissante. Wow.

Toi qui n’as pas cru ma solitude
Ignorant ses cris, ses angles durs, j’ai
Dans le coeur un fil minuscule
Filament de lune
Qui soutient là, un diamant qui s’use…
Mais qui aime

« Innamoramento »

Les fameuses larmes de Mylène se mettent à couler dans ces instants de communion. Charmante, elle plaisante : « Je sais que je pleure beaucoup. Ça peut agacer. Mais c’est MON émotion et c’est à vous que je la dois ». Franchement, qui n’aurait pas envie de pleurer en entendant une chorale de 27 000 personnes reprendre chacun de ses titres ? Elle remercie plusieurs fois son public d’avoir « fait de sa vie un enchantement » et ces mots, timidement prononcés, sonnent déjà comme un au revoir.

Les petites lumières, c’est tous les téléphones allumés sur les ballades. Niveau bilan carbone, ça doit être très moyen, mais niveau émotion, c’était parfait.

Nous voici au dernier tiers du spectacle. Mylène aura changé de tenue deux ou trois fois, toutes plus belles les unes que les autres (bravo Jean-Paul Gaultier) : combinaison noire et cuissardes, robe courte, tenue blanche immaculée… Pour « Sans contrefaçon », elle apparaît moulée dans une petite marinière bleue qui lui va à ravir et qu’on n’aurait jamais imaginé lui coller. Elle tombe le bas pour « Histoires de fesses » et finit en espèce de costume de bain rétro, façon Mylène à Deauville. Après « Sentimentale » qui me laisse de marbre, arrive le tube absolu, attendu à tous les concert : « Désenchantée », pour lequel la grosse artillerie est déployée, sur fond de banquise qui s’effondre.

Les puristes trouveront à redire sur le fait que l’arrangement n’est pas assez dynamique, que ceci, que cela. Sérieusement, stop. C’était magnifique. Qui propose ça en France ? Arrêtons d’être plus royaliste que le roi, le niveau était super élevé et Mylène Farmer n’a plus 30 ans. Tout du long, la scène a été bien occupée, soit par les danseurs, soit par les effets spéciaux (lumières, projections) et on en a pris plein des yeux et les oreilles. Aucun ennui en ce qui me concerne, tout est passé à une vitesse affolante.

« Rêver », qui avait fini par me lasser, est redevenu l’une de mes chansons préférées hier. Mylène la chante, seule, assise en haut d’un bloc gigantesque.

La fin s’avance à grands pas. Encore un « Je te rends ton amour » magistral, Mylène trônant, hiératique, sur un trône de fer, et un « Fuck them all » mixé avec « C’est dans l’air » et nous voici au terme de ce voyage entre hier et aujourd’hui, noirceur et espoir, euphorie et mélancolie.

Ce show spectaculaire de deux heures se clôt sur « L’horloge », poème de Baudelaire (mis en musique par Laurent Boutonnat, le complice de toujours), qui avait ouvert, 30 ans plus tôt, son premier concert. Symbole dans lequel les fans voient un adieu – ce qui se tiendrait. Dans un délire de flammes, Mylène, toute de rouge vêtue, délivre ce texte d’une folle gaieté sur des sons lugubres et images de cimetière et disparaît, engloutie par le feu, au son de « Il est trop tard ». Exact opposé de la sortie mémorable du tour 2006, sous l’eau (voir ici).

Dernier tour ? Début d’une autre ère (interstellaire) ? J’avoue qu’en tant que fan de 30 ans, j’ai le cœur serré à l’idée que toutes mes « idoles » fassent tour à tour leurs adieux. Mais j’espère, après ces images impressionnantes que, telle le phénix, Mylène renaîtra de ses cendres pour continuer de nous surprendre et nous émerveiller.

Merci, en tout cas, de nous avoir offert autant de mystère, de rêve et de communion pendant toutes ces années.

Pour en savoir plus :

  • Billetterie officielle : mylenefarmer2019.com. Pour trouver des places, cliquez sur la date de votre choix, puis « Places à la revente ». Les billets revendus sont au tarif officiel, plus sûrs que les autres sites de revente.

Céline

J'aime bidouiller sur l’ordinateur, m’extasier pour un rien, écrire des lettres et des cartes postales, manger du gras et des patates, commencer des régimes, dormir en réunion, faire le ménache, pique-niquer, organiser des soirées ou des sorties « gruppiert », perdre mon temps sur Facebook et mon argent sur leboncoin.fr, ranger mes livres selon un ordre précis, pianoter/gratouiller/chantonner, courir, "véloter" dans Paris, nager loin dans la mer…

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2 réflexions sur « Mylène Farmer : spectaculaire retour en forme d’adieu »

  1. Bonjour,

    Cela fait 3 concert que je vis avec Mylène : Avant que l’ombre à Bercy restera pour moi le 1er et le plus inoubliable de ses concerts. 3h d’attente pour être les premiers avec un pote devant la scéne et 3h de spectacles absolument somptueux. OUAOUH Puis Timeless 2013 en solo pendant que ma femme s’occupait de nos enfants (notre garçon 4 ans et notre fille 3 mois). Un superbe souvenir dans la fosse aussi top top top. Mon garçon déjà fan de mylène. C’est lui qui prend la relève. En 6 ans depuis Timeless, il n’y a pas une journée ou il n’écoute pas mylène en boucle. Entre Mylène et JJG ils se partagent la scène française. Pas de concurrent qui leur arrive à la cheville. Et ce concert, Mylène, inoubliable, somptueux, la voix magique, les tenues prodigieuses, les danseurs, la musique, les lumières tout était au top. Petite déception 2h pour ton dernier concert, c’est tout ? J’attendais 3h pour une fête inoubliable. Mais merci pour les émotions que mon fils a vécu. A 9 ans la relève est là. Merci.

  2. Bonjour Christophe,
    J’ai vu Mylène en concert à chaque fois depuis le Mylenium Tour de 1999. 20 ans d’amour fidèle, qui ont commencé bien avant (mais j’étais trop jeune pour 1989 et en 1996, au lycée, je n’ai pas eu l’idée d’y aller, mes parents n’écoutant jamais de pop ou variété).
    Le 11 juin dernier, c’était mon 9e concert et j’y retourne encore… 2 fois !
    Comme vous, je garde un souvenir absolument émerveillé de Bercy 2006. Ce rideau d’eau final m’avait achevée.
    Cette année, j’ai hésité à y emmener mon fils de 6 ans (au dernier moment, alors que j’avais trouvé des billets bradés, il n’a pas voulu). J’étais un peu déçue qu’il ne soit pas plus motivé, mais avec un peu de chance, ce ne serait pas le dernier concert de Mylène : « D’autres bruits, confirmés par des promoteurs en région, évoquent plutôt une tournée des stades en 2020. Mais, évidemment, c’est encore un mystère… » Source : https://www.ledauphine.com/france-monde/2019/06/16/le-mystere-mylene-farmer
    C’est vrai que terminer sur la Défense Arena uniquement serait un peu… « sec » 🙂
    On croise les doigts !

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