L’an passé, l’annonce de la programmation 2012-2013 du Théâtre de la Ville m’avait terriblement alléchée avec le retour de James Thierrée, malgré (ou peut-être à cause) de mes réserves sur Raoul – non dénué de qualités, loin de là, mais longuet et plein de redites. Pour qui avait vu tous ses précédents spectacles, certaines scènes sentaient quelque peu le réchauffé. Les photos de la nouvelle création montraient un James Thierrée inquiétant, à l’air presque maléfique, et le titre, comme toujours énigmatique, Tabac rouge, m’évoquait un genre de senteur poisseuse et opulente à la Serge Lutens. En somme, un univers sombre et fort, un jardin désolé de « fleurs maladives » et sanglantes. Sans m’attendre à quoique ce soit de précis, j’étais séduite et curieuse.
Première légère déception, quelques mois plus tard : James Thierrée ne ferait pas partie de la distribution. Un choc, tout de même, quand on sait à quel point ses premières créations sont illuminées par sa présence charismatique, son charme lunaire, sa générosité. On va aussi et peut-être avant tout voir un spectacle de James Thierrée pour James Thierrée (en tout cas, moi). Bon, après tout, pourquoi pas. J’avais assez regretté qu’il se répète un peu trop pour ne pas apprécier la prise de risque.
Car prise de risque il y a. Tabac rouge est sans conteste ambitieux (prétentieux ?) et semble constituer le point d’orgue d’une descente, au fil de ses spectacles, dans nos ténèbres intérieures. Quand ses premiers spectacles, la Symphonie du Hanneton, la Veillée des Abysses, offraient aux spectateurs émerveillés des images oniriques, poétiques, emplies de métamorphoses et de bestiaires ludiques, Au revoir parapluie (mon préféré à ce jour) et Raoul s’engageaient dans des voies bien plus mélancoliques. Dans Raoul, pièce quasi-solo, je était un autre. Le thème du miroir, omniprésent dans Tabac rouge, apparaissait déjà.
Dans Tabac rouge, le roi se meurt. Ce roi sans divertissement est une sorte de tyran qui rappelle aussi le « roi d’un pays pluvieux » de Baudelaire. Autour de lui s’agite une cour. Parfois, tous ces personnages dont on ne sait pas trop ce qu’ils veulent et font (aiment-ils ou détestent-ils le tyran ?), passent de l’autre côté d’un immense miroir, dispositif scénographique (rappelant un peu la hutte pleine de tubes de Raoul) aussi complexe qu’il paraît vain. Ce pourrait être étrange, troublant, mais on n’y comprend goutte et la mise en scène de James Thierrée n’aide pas à y voir plus clair.
Il y a d’abord ce décor un peu steam/cyberpunk, grotesquement baroque, presque ringard – on se croirait dans Mad Max. Faut-il y voir, comme mon ami Valentin, une référence à Fin de partie de Beckett ? Toujours est-il que l’atmosphère est lourdaude plutôt que délétère. Le metteur en scène a ensuite voulu privilégier la danse. Malheureusement, malgré l’implication des danseurs-comédiens sur scène, les chorégraphies ne marquent guère. Et Denis Lavant (qui a remplacé Carlos Brandt), dont on pouvait espérer une présence physique forte de par sa formation de mime, peine à incarner son personnage. De loin, on a l’impression d’assister à la course désordonnée de pantins dérisoires. Pire, on trouve encore les mêmes redites (gag de la jambe récalcitrante ou costume du grillon (?) géant) que dans ses spectacles précédents ce qui, au bout du cinquième, commence à faire beaucoup.
Bref, en dépit de son talent, James Thierrée semble avoir été dépassé, écrasé par son objectif. De cette scénographie et mise en scène chargées rien n’émerge vraiment. Si ce n’est , au bout du compte, l’ennui. Quant à l’émotion, elle est hélas ! partie en fumée.
Pour en savoir plus :
- Tabac Rouge, par la Compagnie du Hanneton
Les artistes trop gâtés par la critique et le public ont souvent une décevante tendance à se gâter…
En même temps, j’imagine que c’est dur de produire toujours des chefs-d’oeuvre. J’irai quand même voir le deuxième volet de ce triptyque pour l’encourager !
En fait ce qui est étonnant, c’est qu’on ne ressent aucune dureté malgré l’atmosphère, les décors et le thème (certes flou), résultat on a parfois l’impression d’être face à un trip à la Tim Burton genre ho-le-cimetière-mais-c’est-en-carton-pâte-c’est-pour-rire. Et ça on a déjà beaucoup vu…
Je reste néanmoins bluffé par le talent des danseurs et la scénographie.