31 octobre 2024

« Les Ascensions de Werner Herzog »

De passage en France, Werner Herzog, immense réalisateur allemand, a accordé à un public parisien, tout acquis à son travail, quelques heures à la Cinémathèque française, avant la sortie chez Potemkine des Ascensions de Werner Herzog, deux moyens métrages documentaires inédits. Enfoncée dans mon fauteuil (au demeurant très confortable), je me suis retrouvée tour à tour en Guadeloupe et dans l’Himalaya. Je n’en suis pas encore revenue.

Les Ascensions de Werner Herzog, c’est le couplage de deux documentaires d’une puissance folle, avec comme point de départ commun une montagne : tropicale dans La Soufrière, glaciale dans Gasherbrüm, la montagne lumineuse, mystérieuse dans tous les cas.

En 1961, Werner Herzog est âgé de 19 ans. Il tourne alors son tout premier film, Herakles, et met le doigt dans un engrenage dont il ne sortira plus jamais. 1968 marque l’année de sa première consécration, puisqu’il remporte l’Ours d’Argent au Festival de Berlin avec Signes de vie (Lebenszeichen). Solide représentant du nouveau cinéma allemand, il va multiplier les œuvres, courtes ou longues, de fiction ou documentaires, toutes aussi denses, toutes aussi bouleversantes, toutes aussi incontournables. On peut évidemment citer sans trop prendre de risques Les nains ont commencé petits, Fata Morgana, Aguirre, la colère de Dieu, ou encore Nosferatu, fantôme de la nuit

Surnommé « le cinéaste de l’impossible », souvent à la tête de tournages chaotiques et d’acteurs psychotiques (comment ne pas penser alors au yeux de fou de Klaus Kinski), il montre dans ces Ascensions son incroyable capacité à se mettre au service seul et unique du film. L’inquiétude, le danger, l’inconnu, l’imprévisible sont sans cesse présents, mais ils font la richesse de l’image et des mots recueillis et, de ce fait, ne peuvent être écartés, évités ou refusés.

En 1976, le volcan La Soufrière (Guadeloupe) menace d’entrer en éruption. Basse-Terre a été totalement évacuée par ses habitants. Les journaux de l’époque racontent pourtant qu’un homme, un seul, a refusé de partir. Il vit sur un flanc de la montagne et entend y rester. Immédiatement, c’est un Werner Herzog intrigué qui embarque avec deux cameramen pour cette ville désormais fantôme. Le chemin du plus grand nombre éloigne du danger ; celui du réalisateur le conduit au plus près. Et les premières images sont celles de l’apocalypse approchante : ville morte, ville silencieuse, ville sans humanité, où errent les animaux abandonnés.

Herzog se lance alors à la recherche de l’homme, suivant tant bien que mal les routes abîmées et un air lourdement chargé de vapeurs toxiques. Pourquoi est-il resté ? Qu’attend-il ? A-t-il peur ? Est-il fou ? Alors que la panique a gagné la population, ce dernier habitant de Basse-Terre est découvert paisiblement endormi, à même le sol et entouré de chats.

Non, il n’a pas peur. Il est à sa place, celle que Dieu lui a assignée. Aucun doute, aucune question, aucune crainte. Il n’a d’autre endroit pour être accueilli et accepté que cette montagne autoritaire. Herzog, perplexe, l’interroge, le filme, lui tourne autour, comme essayant de trouver la clé qui lui permettra de comprendre… en vain. Pourtant, le réalisateur et l’homme ont un point commun : celui de savoir la mort proche, de la côtoyer, de l’envisager, mais sans jamais la craindre ni lui attribuer l’habituelle dimension dramatique. Au moment de leur rencontre, la mort, pour tous les deux, est possible. Elle est même probable. La Soufrière devrait exploser bientôt. Herzog et son équipe ont même positionné une caméra éloignée pour filmer l’éruption si elle devait advenir alors qu’ils en sont proches. Mais ils sont revenus, sains et saufs, avec les images d’une rencontre montrant l’humanité dans son désir jusqu’au-boutiste de vivre le plus entièrement.

On retrouve cette attraction de l’expérience extrême avec Gasherbrüm, la montagne lumineuse, tourné cette fois en 1984. Werner Herzog accompagne les alpinistes Reinhold Messner et Hans Kammerlander, qui entreprennent l’ascension de deux sommets de l’Himalaya culminant à 8000 mètres, d’une seule traite, sans camp fixe, sans radio ni oxygène.

Pour quelles raisons ses hommes cherchent-ils à relever cet exploit ? Qu’est-ce qui les pousse ? Qu’est-ce qui les freine ? Ont-ils peur de la chute ? Ont-ils peur ? Là encore, Herzog cherche à saisir ce qui pousse les hommes à aller au-delà des limites d’une humanité prudente. Ils ne craignent pas la mort, cette compagne inévitable. Ils la savent plus proche et plus possible que le succès ou la survie. Mais leur besoin de marcher, de grimper, de subir les éléments, de bousculer leurs corps, c’est cela qui remplit leurs vies d’un sens que la normalité ne peut leur donner. Si Hans Kammerlander est plutôt discret et silencieux dans le documentaire, Werner Herzog précisera tout de même, au cours de la discussion ayant suivi la projection, qu’il est resté plus longtemps en rapport avec lui, travaillant même ensemble sur d’autres projets montagneux. Mais, sans aucun doute, c’est Reinhold Messner qui mène cette expédition. Il en est l’initiateur, le moteur. Il est celui qui veut monter et si possible monter dans la douleur. Ou plutôt monter avec la douleur.

Car le monde d’en bas n’est pas fait pour lui. Le monde d’en bas ne peut rien pour lui. Et l’on voit bien que les échanges même avec Herzog soulèvent plus d’interrogations pour l’alpiniste qu’ils n’apportent de réponses au réalisateur. En discutant tous les deux, Wessner aborde avec lui-même les sujets dont l’ascension périlleuse le détourne. Et le contact des autres, tous incarnés par Herzog, risque de faire resurgir la fragilité contenue.

Photo à la Cinémathèque : Carlos Tello

Pour en savoir plus :

Marie

J'aime prendre le train, lire et marcher en même temps, manger des gâteaux chinois au soja achetés dans un magasin douteux de Belleville, cueillir des mûres, lire des histoires de princesse à mes princesses, lire des histoires de prince à mon prince, zoner dans les boutiques de musée, dénicher des aimants de frigos ringards à la fin des voyages, écouter Glenn Gould et Nigel Kennedy, faire du vélo en jupe avec le vent de face…

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