Il y a quelques jours, nous nous sommes échappés de la grisaille et du froid de Paris pour plonger dans la chaleur du sud. Trois jours à arpenter les rues de la charmante petite ville d’Arles, toute dévouée à ses 56èmes Rencontres de la Photographie. Nous n’avons pas tout vu, mais en allant de lieu en lieu, on a quand même découvert des artistes et des œuvres qui nous ont captivés. Petite revue de détail pour tous ceux qui, dans le sud ou ailleurs, voudraient s’accorder une bouffée de soleil et d’images.
Je n’étais jamais allée à Arles, et je ne m’attendais pas à ce que cette petite ville soit à ce point habitée par la photographie. Il y en a sur les murs, dans les boutiques ; il y a des galeries, des espaces d’expositions, des écoles ; et tous les bâtiments qui font le patrimoine de la ville qui accueillent, à l’occasion des Rencontres, une ou plusieurs expositions. On ne peut qu’être séduit par le chemin historique que l’on parcourt en se rendant d’un lieu à l’autre.
Tout petit rappel : les Rencontres d’Arles (anciennement Rencontres internationales de la photographie d’Arles) ont été créées en 1970 par le photographe arlésien Lucien Clergue, l’écrivain Michel Tournier et l’historien Jean-Maurice Rouquette.
Et maintenant, parlons de ce que l’on a vu et de ce qui nous a plu ! Avec une trentaine de sites et une quinzaine de thèmes, il était difficile de tout voir… on a fait ce qu’on a pu !
Parmi les artistes qui nous ont particulièrement marqués, Don Mc Cullin, reconnu comme l’un des plus grands photographes de guerre de la fin du XXe siècle, et qui signe ici une rétrospective intitulée Looking Beyond the Edge, installée à l’Eglise Sainte-Anne. Celui qui, lors de la Nuit de la Photographie, fera part de sa honte à avoir photographié l’horreur et la misère, montre l’étendue et la profondeur de son travail, toujours puissant, toujours humble.
Don McCullin est l’auteur de certaines des photographies les plus emblématiques et déterminantes des conflits au Vietnam, à Chypre, à Beyrouth et au Biafra. Mais il a aussi consacré du temps à son Angleterre natale, depuis les sans-abris de Londres jusqu’aux paysages du Somerset, avec le même regard intransigeant.
Non loin de l’Eglise Sainte-Anne, et un peu par hasard, on est entrés dans la Salle Henri Comte, pour y découvrir, ravis, les photos de Bernard Plossu. Western colors est sa première exposition personnelle à Arles, près de 20 ans après sa dernière visite officielle en 1987 dans une exposition collective. Passionné, fasciné par l’Ouest américain, Bernard Plossu l’a pris en photo sans jamais s’arrêter avec son Nikkormat équipé d’un seul objectif 50 mm.
Nevada, Nouveau-Mexique, Arizona, Utah, Californie… il a parcouru chacun de ses Etats arides appareil à la main, en voiture ou à pieds. Avec douceur et finesse, « Plossu est à sa place, il capture ses songes, les met en chair. Il ne montre rien, il n’est pas reporter, il ne construit aucune série, ne poursuit aucun thème non plus.
Il respire, il photographie, il marche, il photographie, il roule, il photographie », comme le rappelle Stéphane Brasca, commissaire de l’exposition.
Quelques pas dans la rue de la République, et nous voici à l’Espace Van Gogh, paisible, fleuri, calme et accueillant… le rythme est lent, le soleil nous écrase, et nous nous réfugions au frais (toujours trop frais pour moi…) pour découvrir Sid Grossman, photographe américain majeur, bien que longtemps ignoré, comme nous l’apprend Keith F. Davis, l’un des commissaires. Sid Grossman compte parmi ceux qui ont fondé la New York Photo League entre 1936 et 1949. Il fut mis à l’index par le FBI en 1949, en raison de sympathies communistes, mais il a eu tout de même le temps de photographier Chelsea et Harlem, le Panama et le Guatemala, Portobello, Coney Island… chacune des photos exposées se fait le révélateur puissant d’une époque, d’une communauté, d’un pays.
Un impact majeur pour celui qui aura, jusqu’à sa très jeune mort à 42 ans, porté un regard sans concession sur le monde. Cette exposition, organisée par the Howard Greenberg Gallery en collaboration avec les Rencontres d’Arles en 2016, en plusieurs temps et plusieurs salles mérite assurément que l’on y passe un peu de temps, parce que les photos sont belles, et parce qu’elle constitue l’aperçu le plus complet offert depuis au moins trente-cinq ans de l’œuvre de Grossman et de son influence.
A l’Eglise Saint-Blaise, ce sont les mots de la chanteuse PJ Harvey qui accompagnent les images (photos ou vidéos) du photographe Seamus Murphy.
On n’attendait pas PJ Harvey dans cet exercice surprenant. Super-super star britannique, auteure de 9 albums, nommée à 6 reprises aux Grammy Awards, seule artiste à avoir remporté deux fois le prestigieux Mercury Prize, décorée de l’insigne de Membre de l’Ordre de l’Empire Britannique (MBE) pour services rendus à la musique… c’est peu dire qu’ils se sont bien trouvés avec Seamus Murphy, qui a créé douze courts-métrages pour accompagner l’album de PJ Harvey intitulé Let England Shake. Mais, surtout, qui a passé sa vie à documenter les changements du monde. Il a tout de même remporté sept fois le prix World Press Photo pour son travail en Afghanistan, en Sierra Leone, à Gaza, au Liban, au Pérou, en Irlande et en Angleterre. Et le travail de description de l’Afghanistan et des Afghans qu’il a mené pendant plus d’une décennie a été publié dans un livre, A Darkness Visible : Afghanistan.
Ensemble, entre 2011 et 2014, ils ont construit The Hollow of the Hand (Bloomsbury Circus, 2015), une publication complexe faite de voyages au Kosovo, en Afghanistan et à Washington DC. Des territoires déchirés, en tension, toujours vivants mais désespérément blessés, se dessinent sous nos yeux et dans nos têtes. On est un peu ko. On est surtout présents.
La lauréate 2016 du 1er prix de la Photo Madame Figaro, Laia Abril, a été récompensée pour le travail qu’elle expose dans Une histoire de la misogynie, chapitre un : de l’avortement. Installée dans le Magasin électrique, au sein de l’impressionnant Parc des Ateliers (qui nous fait beaucoup penser au Matadero de Madrid), la jeune journaliste espagnole documente et conceptualise les risques encourus par les femmes qui se voient refuser un accès libre, légal et médicalisé à l’interruption de grossesse. Manifestations textuelles et visuelles laissent le visiteur silencieux ; tout comme l’enchevêtrement de cintres métalliques que l’on regarde, comme aimanté, avant que nos yeux n’en puissent plus.
Pablo Ernesto Piovano est exposé à la Fondation Manuel Rivera-Ortiz, avec un projet intitulé The human cost of agrochemicals. En 1997, l’Argentine a produit 11 millions de tonnes de soja transgénique. En 2014, l’Argentine est le deuxième plus grand producteur mondial des cultures transgéniques avec une récolte annuelle de 51 millions de tonnes. Le coût de ce développement ? Un coût humain que Pablo Ernesto Piovano a pris en photo. C’est près d’1/3 de la population du pays qui a été touché par les pulvérisations de glyphosate. 1/3 qui a été touché par les cancers, les fausses couches, les malformations, l’épilepsie, les affections de la peau.
Sans artifice, le photographe argentin dévoile la réalité de ces terres perdues d’Argentine, et des populations désarmées, décimées, abandonnées par un Etat qui ne semble pas décidé à tourner le dos à ces « miracles » économiques pourtant dévastateurs. Pour rappel, le soja transgénique et le glyphosate sont interdits dans 74 pays.
Petit tour enfin dans la Grande Halle du Parc des Ateliers, pour y découvrir une exposition plutôt bien faite : Monstres, faites-moi peur !, avec un retour en image sur les monstres, aliens, vampires, grosses bêtes et autres morts-vivants qui ont parcouru le cinéma ! Un accrochage et un séquençage intelligent et intéressant, pour revoir, avec plus ou moins de plaisir, Godzilla, King Kong, la chose gluante d’Alien, E.T., Elephant Man et beaucoup d’autres joyeusetés !
Bref, on est conquis. On reviendra. La ville est belle, les bénévoles des Rencontres sont d’une gentillesse incroyable. On sent derrière tout ça une organisation solide et des partis pris qui rassurent, quelque part, sur le rôle et la place de la photographie dans notre monde en déroute.
Je ne pouvais pas finir cet article sans adresser une dédicace personnelle aux moustiques de la ville d’Arles. J’ai rarement été aussi bien entourée…
Une réflexion sur « Rencontres de la Photographie d’Arles… nos yeux vous racontent »