Le monde en nous
Chaque objet séparé de son bruit, de son poids,
Toujours dans sa couleur, sa raison et sa race,
Et juste ce qu’il faut de lumière, d’espace
Pour que tout soit agile et content de son sort.
Et cela vit, respire et chante avec moi-même
– Les objets inhumains comme les familiers –
Et nourri de mon sang s’abrite à la chaleur.
La montagne voisine un jour avec la lampe,
Laquelle luit, laquelle en moi est la plus grande ?
Ah ! je ne sais plus rien si je rouvre les yeux,
Ma science gît en moi derrière mes paupières
Et je n’en sais pas plus que mon sang ténébreux.
Jules Supervielle, Les Amis inconnus, 1934
C’est un très beau poème, sans rimes (bon, quelques assonances ;-)), mais en revanche ce rythme ample donné par les alexandrins ici très réguliers. Au delà, j’ai une grande tendresse pour Supervielle, parce qu’il est né à Montevideo. Qui saura dire un jour cette proximité subliminale qui unit tous les européens ayant vécu dans leur enfance en Amérique latine? 🙂