A quelques jours du 41ème Festival d’Angoulême, parlons rapidement BD. Si vous n’avez jamais lu de manga et que les clichés inhérents à la bande dessinée japonaise (violence, niaiserie, laideur du dessin et j’en passe des vertes et des pas mûres) vous rebutent a priori, prenez la peine d’ouvrir Undercurrent. Petit bijou de finesse et de sensibilité signé Tetsuya Toyoda, en sélection officielle à Angoulême il y a quelques années, il ne devrait pas avoir de mal à vous faire changer d’avis – du moins si vous aimez les récits intimistes, pudiques, faits de non-dits et de sous-entendus.
« Sous-entendu », « sous-jacent » : telle est la traduction du titre, « undercurrent », rappelée dès la première page. Et c’est effectivement avec un incroyable talent que Toyoda réussit, durant 300 pages, à nous fasciner et nous toucher, alors même que tout n’y est que suggestion ou silence.
L’histoire est, dans un sens, très simple : Kanae, jeune femme volontaire, peut-être même un peu autoritaire (l’image qu’elle a d’elle-même et qu’on lui renvoie) reprend la direction de son établissement de bains publics, quelques mois après la disparition mystérieuse de son mari lors d’un voyage avec le syndicat. Malgré son courage, elle est profondément désemparée par ce qui s’apparente à une fuite, qu’elle n’avait jamais pressentie. Un matin, un jeune homme taciturne frappe à sa porte : M. Hori. Il se prétend envoyé par le syndicat des bains pour l’aider à la tâche. Au fil des jours, cette présence rallume une petite flamme dans le cœur de Kanae qui entame, parallèlement, une enquête, via un détective extravagant, sur son mari.
Que connaît-on vraiment de l’autre ? Et de soi-même ? Comment survivre à un drame ? Quel poids un secret fait-il peser sur notre vie ? La vérité apporte-t-elle l’apaisement ? Vous l’aurez compris, le récit – aussi limpide que le trait fin et élégant qui le sert – va bien au-delà de l’histoire d’amour attendue et, de détours en retournements de situation, nous mène à une fin assez imprévisible.
Si l’atmosphère générale n’est pas sans rappeler un certain Jirō Taniguchi, spécialiste de la poésie des petits riens du quotidien, la tonalité de l’ouvrage est aussi plus enlevée grâce à une touche de burlesque et de fantaisie savamment amenée par des personnages secondaires bien travaillés : le savoureux Grand-Père Sabu et l’excellent détective Yamazaki, notamment dans une scène de karaoké d’anthologie. Comme dans de nombreuses œuvres asiatiques (je pense un peu au cinéma, par exemple de Kitano), la légèreté se mêle à la gravité : une petite musique très particulière, faite de ruptures de tons, déroule sa partition joyeusement triste et mélancoliquement gaie.
Le dessin, assez classique et réaliste, est d’une pureté apaisante, d’une douceur réconfortante et participe au plaisir de la lecture (attention, Kanae ressemble un peu à un garçon, ce qui déroute au début). Sans pathos, grâce à son sens remarquable du cadrage et du rythme, Toyoda saisit avec une justesse impressionnante la timidité d’un regard, l’hésitation d’un sourire, la retenue d’un geste… Pas de grandes démonstrations dans ce très beau livre tout en délicatesse. Tout se passe à l’intérieur. Ce n’en est pas moins violent. Toyoda décrit la réalité des relations et des sentiments tels que nous les vivons parfois. A la fois banals et bouleversants. Le lecteur sensible ne sera que plus ému par cette apparente simplicité. Certains courants sous-marins ne se transforment-ils pas en la(r)mes de fond ?
Pour en savoir plus :
- Undercurrent de Tetsuya Toyoda, Editions Kana
- Disponible en intégralité et en anglais ici (lecture des cases et bulles dans le sens japonais, de droite à gauche)
Jamais entendu parler, je vais le lire (gratos à la fnac of course) et je dirais ce que j’en pense.
Il n’est pas trouvable partout, hélas… Je l’ai trouvé sur le bon coin à 6 € en parfait état 🙂