Quelques semaines après la sortie de son dernier film, le Promeneur d’oiseau, nous avons rencontré Philippe Muyl. Marqué par cette épique aventure franco-chinoise, le réalisateur du Papillon et de Cuisine et dépendances nous raconte ses difficultés, ses rêves, ses projets, et parle sans détours de l’état du cinéma français.
MarCel : pouvez-vous nous raconter l’historique de ce projet franco-chinois qu’est votre dernier film, le Promeneur d’oiseau ? C’est une suite ou une adaptation du Papillon ?
Philippe Muyl : c’est un film qui découle du Papillon, qui est très connu en Chine et qui a contribué à ce qu’on puisse parler là-bas d’un nouveau projet avec moi. Ça remonte déjà à 2009 : à l’époque, je suis allé au Festival de Pékin et j’y ai rencontré Steve René et Ning Ning. Steve René est français et Ning Ning est chinoise, ils sont mariés et vivent à Pékin depuis dix ans. On a commencé à parler du projet de faire un film franco-chinois. Au début, on avait l’idée de faire un remake – piste qui, pour diverses raisons, a été abandonnée assez rapidement. J’ai dû prendre la chose à peu près au sérieux début 2010 et je me suis dit : « pourquoi ne pas me jeter à l’eau ? », même si on ne savait pas encore trop ce qu’on allait faire. J’ai commencé à prendre des cours de mandarin et on a cherché de l’argent de développement pour financer l’écriture et les voyages, en vain. Les Chinois ont dit qu’ils allaient financer cela eux-mêmes et voilà comment tout a commencé.
MarCel : pourquoi n’est-ce pas exactement un remake ?
Philippe Muyl : pour trois raisons. D’abord, je n’étais pas particulièrement excité à l’idée de refaire le même film. Deuxièmement, le papillon n’est pas un symbole très marquant en Chine. Enfin, il y avait de gros problèmes avec le producteur français, qui possède les droits de remake : il aurait fallu qu’il les vende. Les Chinois voulaient les acheter mais ne proposaient pas la bonne somme. Et le producteur français tournait autour du pot. Ça a fini par m’agacer et j’ai décidé d’écrire un scénario original. Quand le film est sorti, j’ai eu quelques sueurs froides, parce que le propriétaire actuel du Papillon, Studio Canal, m’a téléphoné en disant que c’était un remake. J’ai répondu que non et je n’en ai plus entendu parler.
MarCel : ça a commencé en 2009 et c’est sorti en 2014 !
Philippe Muyl : première conversation en 2009, oui. On a tourné en octobre 2012. De 2010 à 2012, ce n’est pas trop long pour écrire, tourner et monter le film. Mais comme on a eu des problèmes d’argent… il n’y avait plus d’argent quand on a fini le tournage. J’ai donc dû attendre plusieurs mois après mon retour en France au mois de novembre 2012 pour commencer le montage, autour du mois de juin. Ensuite, il a fallu discuter avec le distributeur. On avait des projets de dates de sortie, mais c’est le distributeur qui décide. La date a été repoussée de février 2014 au mois de mai 2014.
MarCel : comment avez-vous procédé pour constituer l’équipe du film ?
Philippe Muyl : j’ai rencontré des gens ! J’ai rencontré surtout pas mal de chefs opérateurs. Il y en a de très bons en Chine, de très connus. J’ai rencontré un chef opérateur chinois qui a fait deux Woody Allen, qui était partant mais hélas très cher. Donc j’ai jeté mon dévolu sur un chef opérateur qui était moins connu et qui s’est avéré très bien. Le principal poste français, c’est l’ingénieur du son et son perchman, les Chinois ne faisant pas de son direct, mais tout en post-synchro. Donc, on a fait venir l’ingénieur du son français et toute la post-production du film a été faite en France : montage, bruitage, mixage, montage son, étalonnage…
MarCel : pour les acteurs, vous avez fait des castings ?
Philippe Muyl : pas vraiment. Le grand-père, Li Bao Tian, m’a été proposé tout de suite par la production, parce qu’il est très connu en Chine. Je l’ai rencontré avant même d’écrire le scénario. Il connaissait bien le Papillon, il l’avait vu deux fois, donc c’était assez facile. Il a tout de suite été d’accord. Pour les autres rôles, j’ai rencontré des comédiens, des comédiennes, mais c’est un peu difficile en Chine parce qu’ils n’ont pas d’agent comme ici et ce sont souvent des stars. Donc, par exemple, on prend rendez-vous avec une actrice, mais ils viennent à cinq, parce qu’il y a toujours le manager, le publiciste, le maquilleur, l’assistant… C’est un peu compliqué, c’est beaucoup de temps, beaucoup de rencontres. Ça prend trois heures… Moi je dis : « mais pourquoi on va voir cet acteur ? » Les Chinois répondent : « il faut aller le voir ». Chaque fois que je pose une question, on me dit : « tu ne peux pas comprendre, c’est la Chine ». En 2011, j’ai fait un court-métrage en Chine, pour m’entraîner un peu, un premier exercice avec une équipe et des acteurs chinois, et ça s’était bien passé, donc je n’avais pas trop d’appréhension à l’idée de travailler avec des comédiens de langue différente. J’étais très aidé par les traducteurs, les assistants, et aussi par le professionnalisme des acteurs chinois. Pour faire ça, il fallait de l’expérience, de la patience, une absence d’enjeu financier. Je pouvais me permettre de passer trois ans de ma vie sans gagner ma vie ; un mec normal de 45 ans, qui a trois enfants à la maison et l’habitude de travailler à la française, il pète les plombs et il s’en va ! Cela dit, moi aussi j’ai pété les plombs… J’ai fait la grève pendant une semaine, je n’allais plus au bureau ! Ça a été une galère du début jusqu’à la fin mais je ne regrette pas, parce qu’à l’arrivée, il y a un film et il est bien. Mais ils m’ont gâché mon plaisir, parce que c’était trop compliqué financièrement. Il y avait des problèmes d’argent tout le temps, tout le temps, tout le temps !
MarCel : concrètement, comment le film a-t-il été financé ?
Philippe Muyl : à la chinoise, c’est-à-dire avec des gens qui font des promesses et qui ne les tiennent pas ! Et puis avec la productrice chinoise qui est allée ramasser de l’argent un peu partout, chez ses copains, chez ses relations, emprunter de l’argent à la banque… et qui a des dettes maintenant !
MarCel : il n’y a eu aucun financement français ?
Philippe Muyl : du système français, non, aucun, bien que, officiellement, ce soit une co-production franco-chinoise. Quand on est rentré en France, il n’y avait plus d’argent. A ce moment-là, un homme que j’avais rencontré en Chine, Paul Delbecq, qui y avait distribué les films de Luc Besson, revenait en France pour y monter une société de distribution. Il nous a donné un petit coup de main au début et, finalement, de fil en aiguille, a financé la post-production. Lui aussi, il risque beaucoup d’argent. Le CNC, qui fait une revue mensuelle sur les statistiques des films, a fait une couverture sur le film, mais ils n’ont pas mis un euro. Pas-un-euro. J’ai présenté le film à un guichet qui s’appelle « Cinéma du monde », habilité à nous donner de l’argent : ils ont refusé. Mais ils s’approprient le truc politiquement. Alors je n’ai rien dit parce que c’était la sortie du film…
MarCel : en plus, cette année, c’était les 50 ans de la coopération culturelle entre la France et la Chine…
Philippe Muyl : oui, ce sont tous des frimeurs ! Le délégué général du 50ème anniversaire, je le connais très bien, il était attaché audiovisuel à Singapour. J’ai déjeuné avec lui il y a dix mois. Ils n’ont rien fait. Ils n’ont pas levé le petit doigt. Ils n’ont même pas organisé une projection du film. Ce sont des gens qui se mettent en avant. Ce sont des politiques. C’est du racket. Tout le monde paie, mais eux ils ne paient rien. Donc, moi, maintenant, si je suis interviewé sur les productions franco-chinoises, je vais expliquer comment ça marche !
MarCel : vous pourriez refaire un projet de ce type quand même ?
Philippe Muyl : oui, parce que, à l’aune de ce projet-là, je regarderai les choses différemment, mais il ne faudra pas se leurrer sur les possibilités de trouver de l’argent en France. Donc, je pourrai dire à des Chinois : « oui on peut faire une co-production franco-chinoise, mais probablement dans les mêmes conditions, donc sans un euro français. En revanche, le film sera français, pourra être distribué en France, aura des chances de faire plus de festivals que si le film est uniquement chinois ». C’est envisageable mais il faut réfléchir.
MarCel : on ne comprend pas bien quelle est la logique de financement des films en France. Comment ça marche ?
Philippe Muyl : en gros, ce sont les obligations d’investissement des chaînes de télévision. Donc, Canal Plus est obligé d’investir X millions par an, les chaines de télé idem, mais c’est sélectif, ce sont eux qui choisissent les films sur lesquels ils sont ok pour mettre de l’argent…
MarCel : qu’est-ce que ça veut dire « obligés d’investir » ?
Philippe Muyl : ils ont une obligation contractuelle. Canal Plus a eu le droit de faire une chaîne de télévision, mais dans leur cahier des charges, ils doivent investir quelque chose comme 6 % de leur chiffre d’affaires publicitaire dans le cinéma. Alors, il y a des critères, des quotas. Le cinéma français représente 80 % et le cinéma européen 20 %. Mais il n’y a aucune obligation d’investissement pour un film en langue chinoise. Donc, il n’y a pas d’argent.
MarCel : il n’y a pas d’obligation mais ils pourraient le faire !
Philippe Muyl : oui, mais par exemple, à Canal Plus, il y a deux guichets, celui pour les films français / européens et celui pour les films non-français / européens. Ils savent qu’ils peuvent acheter des films américains. Ils ont un budget annuel qui n’est pas énorme, et ils savent qu’ils vont acheter tel film ou tel film. À l’arrivée, il n’y a plus rien pour un film chinois. Ils disent qu’ils pourraient acheter le film pour Canal Family, mais que le film n’a pas assez de potentiel pour aller sur la chaîne principale. Je leur dis : « Canal Plus, vous aimez les films mais vous préférez les chiffres ». Les producteurs ont donné le mandat de vente à UGC, parce qu’ils ont une force de vente plus importante et qu’ils vont vendre du package : « on vous vend la prochaine grande comédie de Machin, mais en échange vous prenez le Promeneur d’oiseau. »
MarCel : à vos débuts, vous avez rencontré le même genre de difficultés ou ça s’est dégradé au fil des années ?
Philippe Muyl : j’ai eu une période un peu facile après Cuisine et dépendances et après le film chez Fechner, Tout doit disparaître. En fait, ce sont les deux seuls films que j’ai faits facilement. Le reste, c’est galère. Cuisine et dépendances, c’est quand même un petit film : on l’a tourné en six semaines… Chaque film est compliqué ; chaque film est le premier film. La seule possibilité de faire un film confortablement, c’est d’avoir fait un triomphe. Si tu fais 3 millions d’entrées, tu as un chèque en blanc pour un ou deux films. Enfin, disons qu’on va te donner du crédit pour faire un film. Avec le Promeneur d’oiseau, disons que je me suis refait une image, parce que mon film précédent n’avait pas marché du tout. Là, j’ai une bonne presse, le film fait une carrière correcte. J’ai fait quelque chose que personne n’a jamais fait, faire un film en Chine. J’ai une bonne image, mais ce n’est pas pour ça que ce sera plus facile pour le film d’après.
MarCel : vous dites que votre film précédent, Magique, n’a pas marché. Quelles sont les raisons, selon vous, d’un tel échec ?
Philippe Muyl : il y a plusieurs causes. Le pari du film était quand même très gonflé artistiquement parlant : le film musical n’est vraiment pas une spécialité française ! La position du producteur était très malsaine : il a voulu mettre le film très cher, parce que, selon lui, Canal Plus voulait financer des films très chers. Ils ont donc fait un budget à 11 millions d’euros, alors que le film ne les valait pas. Canal Plus a refusé le film. Nous avons alors essayé de monter une co-production avec l’Espagne. Ça a duré 8 mois. Je suis allé en Espagne 10 fois. On est passé de 11 à 8 millions d’euros. Comme les choses n’avançaient pas avec les Espagnols, on a remonté le film à 6 millions d’euros mais à Canal Plus, on nous a dit : « vous êtes venus nous voir il y a un an et demi avec un film à 11 millions d’euros, et vous revenez avec le même film à 6 millions d’euros ! » et ils ont refusé. Finalement, suite à des rencontres au Festival de Cannes, on a proposé le film à 4 millions d’euros à des Canadiens. Et je suis parti seul à Montréal pour le faire. Je suis resté 9 mois. Je me retrouve à faire tout le temps des challenges – parce que, au final, la Chine c’était un vrai challenge. Mais, ça, les mecs ne vont pas le reconnaître. Ils ne regardent que les chiffres. La plupart des producteurs ne vont pas voir les films. J’avais vu un producteur quand on était dans l’embarras pour finir le film. Je l’ai revu il y a quinze jours, il m’a dit : « ah c’est bien, tu t’es bien débrouillé, tu l’as fini, tu l’as fait. La presse est bien. C’est formidable, ça marche pas mal ». Je lui ai demandé : « mais t’as vu le film ? ». Il m’a dit : « ah non ! j’ai pas eu le temps ». C’est désolant !
MarCel : finalement, ils ont un droit de vie ou de mort sur un film !
Philippe Muyl : il existe bien sûr des producteurs qui se passionnent encore, qui vont défendre des projets par enthousiasme. Mais, quand même, nombre de producteurs sont des faiseurs. Donc, on fait Astérix n°1, n°2, n°3… C’est des machines à fric. En bref, tu veux faire un film, si Canal Plus dit oui, tu sais que tu as des chances d’arriver au bout. Si Canal Plus dit non, tu sais que tu ne vas pas y arriver. En réalité, le producteur du cinéma français c’est Canal Plus. C’est à Canal Plus qu’on doit le niveau moyen de la production française. Enfin, j’exagère, il y a quelques bons films. Et c’est vrai qu’en France il y a la diversité. J’ai regardé Yves Saint Laurent de Jalil Lespert. C’est pas mal, avec une prestation extraordinaire de l’acteur Pierre Niney.
MarCel : comment s’explique cette situation de monopole de Canal Plus ?
Philippe Muyl : c’est là où il y a de l’argent ! Je crois que Canal Plus met quelque chose comme 150 millions d’euros chaque année dans le cinéma. C’est énorme.
MarCel : mais il n’y a pas d’argent QUE chez Canal Plus ?
Philippe Muyl : c’est là où il y en a le plus. Chez France Télévision, il y a de moins en moins d’argent. TF1 ne mise que sur de grosses comédies, comme M6. C’est normal que ces chaînes-là choisissent des films un peu plus faciles. Ce sont des chaines privées, c’est leur droit.
MarCel : il n’y a pas des aides du CNC ?
Philippe Muyl : si, mais ce n’est pas ça qui aide des films qui sont souvent un peu perdus d’avance. Mais bon, toute industrie doit avoir son secteur « développement ».
MarCel : et les banques, elles jouent quel rôle ?
Philippe Muyl : elles ne font que de l’escompte… Si tu viens avec un contrat de Canal Plus disant que Canal Plus paiera à la sortie du film. Entre temps, tu vas à la banque escompter le contrat. C’est pour ça que les frais financiers sont très importants dans le cinéma. Il y a des banques de cinéma qui escomptent à des taux intéressants, mais ça reste quand même du 6 %…
MarCel : ça donne encore envie de faire des films ?
Philippe Muyl : oui, mais tu passes ton temps à te dire : « qu’est-ce que je peux trouver comme chemin intelligent pour arriver à faire un film que j’ai envie de faire ? » On est obligé de beaucoup réfléchir à la façon de faire notre chemin.
MarCel : finalement, vous passez plus de temps à monter le projet du film qu’à faire le film lui-même !
Philippe Muyl : oui ! Là, le prochain le plus avancé est celui avec Julie Gayet. J’ai écrit le scénario, c’est un producteur qui le vend. Il faut trouver un distributeur qui prenne le film. Je ne veux pas trop raconter l’histoire. C’est une histoire d’amour qui se passe en 1975. Ce n’est pas autobiographique. C’est un mélo, ça va faire pleurer ! C’est sur les rails… Le producteur a présenté le film à Studio Canal, et Studio Canal s’est dit : « ah oui, c’est vrai qu’à l’international, elle est plutôt bien connue… ». Et pourquoi elle est connue ?… Bon, Julie Gayet je la connais depuis longtemps et je lui avais proposé le film il y a six ou sept ans. Et maintenant, elle a l’âge du rôle, donc c’est très bien ! Donc ce n’est pas que de la magouille ! Mais peut-être que c’est arrivé au bon moment…
MarCel : l’envie et la passion ne suffisent pas…
Philippe Muyl : non, il faut être malin. Il y a des films que j’ai envie de faire et que je ne ferai jamais. Tu es obligé d’être malin. Et, malheureusement, tout le monde n’a pas les mêmes cartes. Certains ont de bons réseaux, certains ont leur carte au CNC, certains ont leur carte à Canal Plus, à Arte. Certains sont des petits intellos. Moi, c’est un peu compliqué, parce que je suis un cinéaste qui est plutôt perçu comme faisant des films grand public, donc condamné à faire des succès. En même temps, je fais des films grand public mais pas grandes comédies non plus… donc, mon créneau est un peu pointu.
MarCel : est-ce que les critiques cinéma ont un impact réel sur la fréquentation, le succès d’un film ?
Philippe Muyl : ça dépend du film. Si c’est une grosse comédie, non. Sous les jupes des filles s’est fait incendier et ça n’empêche pas le film de marcher. Mais si tu es un petit film d’auteur fragile et que tu te fais incendier, tu es mort. Je pense que si le Promeneur d’oiseau fait sa petite carrière en longueur, c’est parce que la presse a été bonne. Et puis, il y a aussi le bouche à oreille.
MarCel : existe-t-il une version française du film ?
Philippe Muyl : oui, il y a une version française. Je l’ai faite par utilité, mais j’ai un peu de mal à la regarder ! Elle existe ! Et si le film passe sur Canal Plus, il passera en version française.
MarCel : comment le film a-t-il été accueilli en Asie ?
Philippe Muyl : il a été très bien accueilli dans les festivals mais j’attends surtout la sortie commerciale. Les retours sont plutôt bons. Il va sortir au Japon, à Singapour, à Taïwan, en Corée du sud. Il va être présenté à un festival de Corée du Nord mais j’ai dit que je ne voulais pas y aller. Il y a eu quelques projections à Pékin. Les Chinois qui l’ont vu disent que c’est très bien, ils ne comprennent pas trop comment j’ai réussi à percevoir la psychologie chinoise. Je sais que le film sera bien accueilli en Chine, mais la Chine c’est un marché sauvage ! Les Américains sont les pros du marché chinois, donc ce n’est pas facile. Normalement, on sort en octobre… alors qu’on devait sortir le 23 mai !
MarCel : c’est difficile de se faire sa place sur le marché chinois ?
Philippe Muyl : oui, parce que le public chinois c’est 18-30 ans, blockbusters, films 3D, Transformers… : c’est le film qui casse tout là-bas. Dans un multiplex de 18 salles, le film sort dans 14 ou 15 salles avec des départs toutes les 20 minutes. C’est un casino, une machine à fric. Donc, toi, derrière, avec ton film d’auteur… – parce que, pour les Chinois, le Promeneur d’oiseau c’est un film d’auteur, un « art movie » comme on dit… – ce n’est pas facile. On va donc faire le pari du « film familial »…
MarCel : et penser à d’autres modes de diffusion, à la demande, comme l’a fait Abel Ferrara ?…
Philippe Muyl : oui, mais en Chine, Internet c’est le piratage… Alors c’est vrai qu’il y a de la VOD. Le Papillon est sur un canal en VOD. Ce ne sont pas de grosses recettes, mais il y a 8 millions de vues actuellement sur ce film !
MarCel : génial !
Philippe Muyl : oui mais ça rentre dans la poche des Chinois !
MarCel : et qu’est-ce qui rentre dans votre poche ?
Philippe Muyl : rien ! En tant que réalisateur, je cède les droits à un producteur qui me paie. Donc, j’ai des droits d’auteur sur la distribution européenne, française. Mais, le producteur vend au forfait à un acheteur international, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Chine. Et les Chinois, ils achètent pour vingt ans. Ils ont dû acheter ça 80 000 euros, et maintenant ils font carrière avec Le Papillon qui marche exceptionnellement bien. Mais moi, je ne touche rien !
MarCel : avec le succès en Asie, vous n’avez pas eu de commande ?
Philippe Muyl : non. J’ai rencontré quelques personnes, mais ce sont des projets bidons. Il y a beaucoup de bidon ! J’ai reçu un coup de fil d’un mec qui me dit qu’il est le conseiller pour le Roi du Cambodge et qu’il aimerait me rencontrer. Les mecs, je les sens un peu : quand c’est sérieux, ça ne se passe pas exactement comme ça. Donc, je reçois ce coup de fil sur mon portable. Je googlise son nom ! Et je ne trouve rien… J’ai déjeuné avec lui hier midi. Il me raconte sa vie… En fait, le mec cherchait à me soutirer des informations, fantasmait sur la Chine… Je suis quand même allé jusqu’au bout, mais c’est des mythomanes ces mecs ! J’en ai un autre comme ça : il existe, il a une revue de luxe qui existe, un gros pavé pour les milliardaires du monde entier. Il est toujours sur des coups… Il me dit : « il y a le Président de la Guinée Équatoriale qui veut absolument faire un film »… J’ai fait quelques recherches et j’ai vu le mec deux fois. Je ne voulais pas faire le film, mais je me suis dit que je pouvais peut-être le produire. Je lui ai rendu une idée, sur une page. C’était il y a un mois et demi et je n’ai plus de nouvelles. Ces mecs, on ne sait pas à quoi ils jouent. Et en Chine, il y en a plein. Les mecs font de l’esbroufe… Quand on a préparé le film, on a fait un déjeuner avec un chef de district de Pékin, dans un immense salon, avec une table ronde de 4 mètres 50 de diamètre. On était quatre ! Dans un salon qui faisait 25 mètres de long, avec un mec qui te fait la cuisine, du foie gras, du Bordeaux – comme tu es français. Je me suis demandé ce que je faisais là, mais bon, ils voulaient mettre un million d’euros dans le film. Et on arrive à trois semaines du tournage et je demande des nouvelles du mec avec qui on avait déjeuné et on me dit : « ah mais finalement, il l’a mis dans autre chose ». Tout est comme ça. On peut considérer que c’est rigolo. Mais en même temps, t’es là pour faire des films, t’es pas là pour rigoler ! Il faut jouer le jeu, c’est sûr… J’ai dû aller au karaoké avec le mec de la compagnie d’aviation privée qui voulait mettre de l’argent dans le film, mais il fallait faire mettre l’avion dans un plan. Donc il a fallu que je visite l’avion… J’ai même proposé que le personnage féminin vende ces avions ! Et j’ai demandé où on pouvait filmer l’avion. « Ah, mais on ne peut pas le filmer à l’aéroport de Pékin, donc l’avion va être à tel endroit à l’autre bout de la Chine ». Pourquoi pas, mais il fallait y aller avec toute l’équipe. Et puis on n’en a plus entendu parler. Donc j’ai fait le karaoké avec le mec de la compagnie d’aviation, à 1h du matin en train de boire de la bière, et le mec chante, et moi je feuillette le magazine avec les avions, et à l’arrivée il n’y a pas d’avion !
MarCel : indépendamment des stratégies, il y a des acteurs avec qui vous aimeriez particulièrement travailler ?
Philippe Muyl : non, pas vraiment. D’abord, est-ce qu’il y a des acteurs qui me passionnent… ? Bon, il y a des grands acteurs américains, il y a des bons acteurs chinois et français. Mais est-ce qu’il y a des grands acteurs français ? Je regarde ce mec, Pierre Niney, il est extraordinaire. L’autre jour, je faisais une liste des acteurs avec qui j’ai bien aimé travailler. Marie Gillain est adorable. Antoine Duléry aussi. A vrai dire, je n’ai pas vraiment de passion pour les acteurs. Ce qui m’intéresse, c’est les histoires. Les acteurs, c’est un moyen de faire le film. Il y a des acteurs que je trouve formidables, mais est-ce qu’ils sont approchables ? A un moment donné, je voulais faire le remake du Papillon aux États-Unis. J’ai essayé d’approcher Paul Newman, parce que j’allais dans un festival en Virginie où il habitait. J’ai déposé un DVD et j’ai eu une réponse de son secrétariat me disant qu’il était très occupé… Les acteurs comme ça, oui ! Des acteurs qui n’ont plus rien à prouver. Dustin Hoffman c’est un acteur extraordinaire… Les grands acteurs chinois, ils sont quelques-uns mais ils sont très chers, et par rapport à eux, moi je ne suis rien. Le bon acteur pour moi c’est celui qui vient faire mon film !
MarCel : qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?
Philippe Muyl : voir des films ! J’ai quand même étudié la peinture, les arts graphiques… j’allais voir des films et je me suis dit : « je pourrais peut-être essayer ». C’est devenu plus indispensable aujourd’hui. Aujourd’hui, je n’ai plus le choix.
MarCel : vous écrivez tous vos scénarios ?
Philippe Muyl : oui. Le meilleur collaborateur que j’ai trouvé c’est moi ! C’est difficile de trouver un bon collaborateur, surtout quand tu ne peux pas le payer. C’est ça le problème. Quand tu rentres dans un processus où l’écriture est financée par un producteur, tu peux prendre un collaborateur. Mais des gens qui vont, comme moi, travailler gratuitement pendant huit mois pour écrire un scénario, tu n’en trouves pas. Tout ce que tu peux faire, c’est écrire tout seul et faire lire à deux, trois personnes de confiance.
MarCel : pourquoi ne pas créer une sorte de petite famille comme Guédiguian ou Podalydès ?
Philippe Muyl : oui, c’était à la mode, c’était faisable, mais plus aujourd’hui. C’était faisable quand les chaînes de télévision, les financiers acceptaient encore d’avoir les réalisateurs comme interlocuteurs. Maintenant, elles ne veulent que les producteurs comme interlocuteurs. Par ailleurs, il y a une grosse atomisation de la production et, de plus en plus, les financiers veulent des gros fournisseurs. Guédiguian, il arrive un peu au bout de son système… Il a tiré un peu trop sur la corde. Ils ont un peu vécu sur leur fonds de commerce, en autarcie. Tout ça, ça va changer.
MarCel : comment voyez-vous l’état du cinéma français par rapport au cinéma mondial ?
Philippe Muyl : c’est un système qui continue d’exister malgré son système de financement et son système un peu protectionniste. À mon avis, il va se faire attaquer. Je pense que les Français ne vont pas assez voir ailleurs. Il y a quelques opportunités, comme quand Guillaume Canet fait un film américain. Mais ce n’est pas facile. Personnellement, je me vois bien habiter ailleurs qu’à Paris, mais dans le cinéma, tu ne peux habiter qu’à Paris, Los Angeles ou éventuellement un peu à Pékin… L’argent va se raréfier. Déjà, cette année, il y a moins 20 % de films, et ça ne va pas s’arranger. Je pense qu’il va y avoir de plus en plus de gros films bien financés et des films faits à l’arrache.
MarCel : et vous tourner vers la télévision ?
Philippe Muyl : la fiction à la télévision, ce n’est pas facile du tout. Ils achètent de plus en plus de trucs, à part Canal Plus qui fait de la production. France télévision, ils sont très fiers de faire Plus belle la vie. Tant mieux pour eux ! Si j’avais une opportunité de faire un truc à Canal Plus, ce serait avec plaisir mais je ne suis pas sur la liste. Peut-être que le jour où ils voudront faire une comédie sentimentale, ils m’appelleront ! Le cinéma, c’est comme le casino, mais il y a le hall pour les petits joueurs et le coin privé pour les grands joueurs. Moi, je suis dans le hall ! Et comme au casino, c’est plus facile de perdre de l’argent que d’en gagner ! J’ai toujours adoré cette pub pour le loto : « 100 % des gagnants ont tenté leur chance » !
C’est vraiment très intéressant; on, j’y ai appris plein de choses de ce monde du cinéma; » un joli panier de crabes » dit-on chez moi! On n’imagine ni le temps passé, ni les galères quand on est assis dans une salle obscure et qu’on part à l’aventure….