Assister à un concert de CocoRosie est une expérience excitante et déroutante, tant leurs performances, qui dépassent le simple cadre musical, ne se ressemblent pas. En tout cas, chacun des trois concerts que j’ai vus en deux ans m’a paru unique ; pensé et travaillé comme un objet scénique singulier, avec ses propres arrangements sur mesure, son atmosphère bien à lui. Du chatoiement indien porté par le fantastique collectif des Rajasthan Roots (Trianon, juillet 2012 – une grosse claque) au concert « électro-hip hop » de lundi soir au Yoyo, en passant par le néo-récital plus classique de la Salle Pleyel (mars 2013), j’ai toujours été embarquée dans leur univers inclassable. Conseillé à ceux qui sont attirés par les trucs bizarres comme les freaks ou les cabinets de curiosités…
CocoRosie – surnoms que leur donnait leur mère -, c’est le duo formé par les soeurs Casady : Bianca (alias Coco, la plus jeune, à la voix de gamine effrontée à qui on filerait volontiers des tartes) et Sierra (Rosie, donc, la grande brune à la voix de soprano aérienne), à l’histoire personnelle atypique : après avoir passé de longues années à des milliers de kilomètres de distance, l’une vivant avec leur mère, l’autre avec leur père (les parents s’étaient séparés dans leur enfance), elles se retrouvent un peu du jour au lendemain, au début des années 2000, à Paris, où Sierra étudie le chant lyrique. Elles se découvrent complices, complémentaires, inséparables. De cette osmose naît, dans la salle de bain (!) de leur chambre de bonne de Montmartre, La Maison de mon rêve, premier album « lo-fi », enregistré avec les moyens du bord et intégrant des sons du quotidien, qui attire rapidement l’attention d’un label, des journaux spécialisés et de la communauté branchouille des-gens-de-bon-goût-dénicheurs-de-talents.
Vers 2004-2005, j’avais écouté leur production (toujours grâce au même ami d’Almost Musique) et je n’avais pas trop accroché à cet univers insolite – probablement trop expérimental ou avant-gardiste pour moi à l’époque -, à la fois minimaliste et sophistiqué (j’oscille entre enchantement et agacement), ni surtout à leurs voix, qui m’évoquaient parfois le chant pénible de chats écorchés, sur fond bricolo de jouets d’enfants (xylophone, Ordimini…) D’ailleurs, bien que je les aime et que j’aie désormais tous leurs albums, je ne les écoute que très rarement en version CD.
Par exemple, ce genre de morceau, hormis la guitare, très douce, me donnait plutôt envie de grimper aux rideaux :
Brouillant les frontières entre les genres, folk, pop, lyrique, blues, hip hop, trip hop, électro/house, dub, et même un peu ragga (et autres), dans un magma élaboré de sons divers et variés parfois difficilement identifiables (voir la définition de freak folk ou psyche folk), CocoRosie cultive aussi savamment l’ambiguïté : sœurs sensuelles amies-amantes, affublées parfois de postiches pileux faciaux – comme dans le clip ci-dessous -, attifées relativement n’importe comment façon hippies méta-hipsters… Définitivement inclassables. Et inventives : cantatrices comédiennes, elles se mettent en scène dans un environnement sans cesse renouvelé, où le décor, les costumes, les projections vidéos, matérialisent leurs ambiances de comptines déglinguées.
Il m’a donc fallu attendre 2012 et l’invitation d’un (autre) ami qui adore m’entretenir pour que je prenne en pleine figure leur charisme, leur énergie, leur originalité, leur folie.
Marius a su me convaincre de l’accompagner avec ça :
Après deux excellentes expériences live avec ce même ami, c’est avec entrain et curiosité je me suis rendue lundi soir au concert au Yoyo, accompagné d’un (autre autre) ami qui ne connaissait absolument pas ces artistes. CocoRosie y présentait en avant-première des morceaux de son nouvel album à venir, House Widow. Des chansons que je ne connaissais pas du tout, donc. Mais même celles que je connaissais, j’ai parfois eu du mal à les reconnaître, vu qu’elles ne font jamais la même chose.
Après une intro ultra dépouillée à la harpe, un peu ennuyeuse à mon goût et parasitée par le bruit des consommateurs du bar du Yoyo, le show commence vraiment. L’univers est très théâtral : une petite maison sur scène, avec fenêtre ouverte sur un extérieur fait de lumières diverses, une petite cheminée fumant de temps à autres sur le toit. Les CocoRosie habillées de fripes indescriptibles (avant que Sierra ne finisse, comme à son habitude, que très légèrement vêtue), coiffées de masques un peu inquiétants, évoquent tour à tour des fées malicieuses ou des sorcières vénéneuses. Pas étonnant que Bob Wilson ait fait appel à elles pour son sombre Peter Pan… Cela dit, un peu loin de la scène, il nous est difficile d’apprécier les détails.
Bianca balance son flow, soutenu par la voix éthérée de Sierra, devant un public ravi et connaisseur. Tant pis si le son grésille un peu, notamment dans les basses (en tout cas, derrière la régie son), si parfois, Bianca abuse un peu de sa voix acidulée. Les deux sœurs ont une présence folle, mettent le feu, assurent un max, au chant, au piano, à la flûte, à la harpe… Elles sont efficacement accompagnées de l’élégant Takuya « Taku » Nakamura, aux claviers (piano, synthé), à la trompette et autres machins électroniques, et de l’impressionnant Tez, beatboxer de son état (un type qui fait boîte à rythmes rien qu’avec sa bouche). Vous pouvez voir un aperçu de son talent ici par exemple.
Un bon tiers des chansons provenait de leur précédent album, Tales of a GrassWidow, et une autre bonne partie m’était inconnue – ou bien je ne les connaissais pas assez pour les reconnaître ! J’ai personnellement adoré « Tearz for Animals », « Child Bride », « Villain », « Beautiful Boys », « Werewolf » et le final, complètement survolté, très technoïde. Musicalement, on penchait nettement vers le hip hop – voire le « abstract hip hop » selon mon ami, qui a pensé à DJ Shadow -, beaucoup plus, il me semble, que sur les deux autres concerts que j’avais faits. Malgré la fatigue, j’ai adoré cette ambiance un peu… berlinoise. On se serait cru dans un reportage de Tracks sur Arte !
Comme pour Elton, trop occupée à écouter et profiter, je n’ai fait que deux vidéos, de toute façon trop éloignées pour rendre vraiment hommage à la qualité de ce concert de près de deux heures. Un souvenir pour ceux qui avaient la chance d’y être. Et une invitation, si vous ne les connaissez pas encore, à tendre une oreille curieuse vers ces créatures fantasques, créatrices et reines d’un royaume onirique. Ça ne plaira certainement pas à tout le monde. Il n’est pas toujours facile d’entrer dans les rêves des autres…
Pour en savoir plus :
- Le site officiel de CocoRosie | Twitter | Facebook
- Le site de Takuya Nakamura
- Le Facebook de Tez
- Le Mad Vicky’s Tea Gallery, le salon de thé / concept store de Bianca, in Paris, s’il vous plaît :
Excellente surprise. Je suis aussi allé au concert sur un coup de tête et sur les conseils d’une amie et ce, sans avoir écouté aucune de leurs chansons: bien m’en as pris car au final elles réarrangent complètement leurs sons pour le live. Il aurait été difficile donc de prévoir la petite claque au tournant. Dissymétrie/complémentarité totale des voix de Bianca et Sierra, envolées hip(-hop)tiques avec Tez en side-kick et arrangements musicaux que j’ai globalement adorés, ce fut un t-r-è-s bon moment. Néanmoins petit bémol pour l’ambiance un peu molle du public dans la fosse qui contrastait avec l’énergie débordante des deux soeurs sur scène. Bizarrement la foule a surtout hurlé pour le mini show de Tez en milieu de concert. Merci et à bientôt Biancasierra 😉