De retour de ma seconde soirée au Fringe Paris. Ce soir, c’était la première de Seasons, une comédie musicale américaine d’Elaine Pechacek et Katie Hammond, dont le titre, les extraits, les chanteurs et l’argument m’avaient accrochée lundi, lors de l’inauguration du festival. Un « musical » plaisant, accessible à tous, réussi sur bien des plans, mais qui pâtit aussi un peu de son manque de moyens.
Seasons entremêle les destins de quatre personnages sur une année qui bouleverse leurs vies : un couple et un duo mère-fille. Peter, un gentil « guy next door » et Helen, la plus belle fille du lycée, découvrent, après une aventure d’un soir, qu’ils attendent un enfant. Une grossesse qui va chambouler leurs ambitions ou rêves, et les révéler à eux-mêmes. La jeune Hope, quant à elle, va se marier au moment-même où l’on diagnostique un cancer à sa mère, Mrs Jones.
Le projet est téméraire, pour ne pas dire casse-gueule : parler du cycle de la vie, embrasser des thèmes universels, certes, mais aussi éculés que la mort, l’amour, l’importance de passer du temps ensemble, le lien filial, la transmission, l’espoir, tout ça, pfiou, sur quatre saisons ! Alors, mission accomplie ?
Dans son ensemble, Seasons tient bien la route, même si le livret manque un peu d’épaisseur et les personnages, donc, de consistance.
L’une des choses les plus importantes, déjà, à savoir la musique, est réussie. Heureusement, car le spectacle est chanté de A à Z, sans aucune partie parlée ! Une performance qui explique peut-être la durée un peu ramassée. Les chansons sont variées, dans un registre pop / ballades, avec de très beaux passages harmoniques, notamment féminins (« Just one moment », « Something blue », « Lullaby – reprise »). Du coup, j’ai regretté qu’il n’y en ait pas plus. Plus d’interactions et moins de « monologues » auraient dynamisé la pièce et les chansons. Car le casting féminin de l’adaptation pour le Fringe Paris est excellent.
J’ai retrouvé avec joie Sarah Tullamore (découverte hier dans London-Paris-Roam!) qui joue Mrs Jones. Sa voix cristalline, dont le falsetto m’a parfois évoqué Joan Baez, parfaitement compréhensible grâce à son impeccable diction (l’influence de Julie Andrews, son héroïne de jeunesse ?), est un plaisir à l’oreille (magnifique « Blue Jay »). Ses duos avec la jeune et fraîche Lily Kerhoas qui incarne sa fille sont particulièrement touchants. J’ai également été ravie de revoir Mathilde Libbrecht, qui avait impressionné mon fils en Wendy dans le hautement recommandable La Revanche du Capitaine Crochet – dont je vous parlerai en temps voulu. Dotée d’un physique et d’une voix plus qu’avantageux, elle endosse ici le rôle un peu ingrat de l’ambitieuse pimbêche qui finit par s’adoucir et entrevoir d’autres valeurs à la naissance de sa fille. On prend réellement toute la mesure de son talent dans les derniers morceaux (notamment « Lullaby ») car, selon moi, son personnage a des mélodies solo plus « faibles » que ses partenaires.
Le seul homme de la troupe, Lisandro Nesis, a malheureusement un personnage fallot. Peter a toujours l’air tellement naïvement émerveillé d’être en couple avec une bombe, qu’on finit par se demander pourquoi Helen a accepté de l’épouser. A quelle époque se déroule donc l’histoire pour qu’elle n’ait d’autre choix que de se marier avec lui (et à quelle époque emmaillote-t-on un bébé dans des rubans) ? Surtout – peut-être était-ce le trac de la première ? – il m’a semblé curieusement moins assuré que ses compagnes de scène. On aurait dit qu’il avait oublié les paroles d’une de ses chansons, j’ai même cru à un moment qu’il se trompait : ne dit-on pas « I have ever seen » plutôt que « I ever have seen » ? J’ai regardé Sarah Tullamore pour voir si elle tiquait. Mais bien sûr, elle ne pouvait pas puisqu’elle était à l’agonie ! Je suppose que c’est une tournure poétique, mais lui-même n’avait pas l’air très convaincu quand il chantait.
Scénographiquement, le lien et la séparation entre ces quatre personnages se fait au moyen d’un quasi unique élément de décor modulable et déplaçable, qui représente une fenêtre surmontant des étagères. Il permet de symboliser efficacement la maison ou l’hôpital, selon qu’il est placé côté bois ou côté blanc. L’idée est bonne, mais alors quel dommage que les comédiens eux-mêmes le déplacent entre chaque tableau, dans une semi pénombre, en apportant avec eux les éléments additionnels. Ce qui peut fonctionner dans une mécanique impressionnante et chorégraphiée au cordeau à la Ariane Mnouchkine paraît ici, sur une aussi petite scène, un peu « cheap » et nous sort de l’histoire. Et quelle drôle d’idée, cette dame qui vient passer par deux fois le balai pour nettoyer les feuilles mortes qui matérialisent un peu maladroitement l’automne en début de pièce.
Peu importe.
Malgré ces bémols, qui ne remettent aucunement en cause le talent des comédiens/chanteurs, j’ai passé un très bon moment. Après tout, nous ne sommes pas dans une superproduction et ça change, justement. Cette modestie assumée est même ce qui rend le spectacle sympathique.
L’accompagnement au piano seul (par John Florencio, le même pianiste qu’hier) suffit amplement, même si d’autres instruments auraient sans doute donné du souffle à l’ensemble. Il met au moins en valeur la qualité indéniable des voix (les chanteurs chantent sans micro). L’investissement des interprètes fait le reste. Faut-il en avoir pour jouer aussi près des spectateurs, dans une petite salle où toutes les imperfections, même minimes, sont plus visibles ! Cela mérite le respect. Les dernières notes de la dernière chanson nous filent des frissons : Mathilde et Lily assurent avec les honneurs. C’est déjà terminé, au moment où on finissait par s’attacher à tout ce petit monde.
Seasons se joue encore ce soir (jeudi 26 mai) à 20h au Théâtre des Feux de la Rampe. N’hésitez pas à emmenez-y vos enfants et ados, ça leur fera travailler très agréablement leur anglais !