Il y a quelques semaines, MarCel est allé se balader à l’expo Musique et Cinéma, le mariage du siècle ?, actuellement à la Cité de la Musique – et ce jusqu’au 18 août. Une grande rétrospective conviviale et ludique, assez ambitieuse, puisqu’elle entreprend de rendre compte des différentes relations entre musique et cinéma depuis leurs premières heures, et plutôt réussie, tant dans l’expographie que dans le fonds présenté.
Malgré le succès de certaines bandes originales souvent associées au succès des films qu’elles illustrent, la musique de film est généralement bien moins considérée que la musique classique, certains ne voyant en elle qu’une sorte de « Muzak », musique classique du pauvre, populaire au mieux, tout juste digne d’un ascenseur au pire. John Williams lui-même, compositeur fétiche de Steven Spielberg à qui l’on doit les thèmes inoubliables de Star Wars ou Jaws, ne déclare-t-il pas : « si je me mets à écouter Haydn ou Brahms, je réalise tout de suite que c’est beaucoup mieux que tout ce que je pourrais jamais faire » ?
Pourtant, une bande originale a un rôle non négligeable dans l’impact qu’un film a sur le spectateur. Parce qu’un film, ce ne sont pas seulement des images qui défilent sous nos yeux et dont on a parfois l’impression de ne pas se souvenir. La mémoire a cela de magique qu’elle inscrit les choses en nous, sans nous prévenir. Et, sans nous prévenir, ce que l’on a senti, ce que l’on a touché, ce que l’on a entendu, ce que l’on a vu se rappelle à nous. Anne Muxel le disait joliment dans Individu et mémoire familiale : « une bouffée respirée, un bruit qui vient à l’oreille, et l’on est transporté. Les sens ouvrent des trajets de mémoire ».
Toute l’exposition nous rappelle que musique et cinéma sont bien souvent indissociables ; que rares sont les réalisateurs comme Michael Haneke ou Bruno Dumont qui réduisent au minimum leur utilisation de la musique ; que regarder un film, c’est utiliser ses sens, c’est associer images et sons irrémédiablement : comment imaginer un western de Sergio Leone sans les compositions spaghetto-lyriques d’Ennio Morricone, une comédie musicale de Jacques Demy sans les morceaux jazzy-chatoyants de Michel Legrand, un giallo de Dario Argento sans la bande son bizarro-anxiogène de Goblin ? Et tant d’autres exemples dont l’exposition fourmille !
Tous les plus « grands » noms de la BO y sont conviés, de Nino Rota à Maurice Jarre en passant par Bernard Herrmann, Danny Elfman, Angelo Badalamenti… Les citer tous est mission impossible, mais nous avons découvert ou redécouvert une foule d’histoires de « couples » mythiques réalisateur/compositeur, de témoignages, d’anecdotes, et même des documents émouvants comme les partitions originales du Mépris de Georges Delerue ou des Aventures de Rabbi Jacob de Vladimir Cosma.
Une place est faite aussi aux réalisateurs tels Stanley Kubrick ou Quentin Tarantino utilisant des morceaux, classiques ou pop, déjà existants, voire réutilisant des bandes originales d’autres films (Ennio Morricone est une référence clin d’oreille récurrente chez le second), pour une seconde vie offrant d’autres perspectives, d’autres associations d’idées, d’autres significations…
Outre les écrans de différentes tailles qui permettent de comprendre tout le processus de « bande-originalisation » d’un film, des ateliers pratiques nous offrent l’occasion de tripoter une mini-table de mixage, ou de nous amuser à ajouter ou supprimer une bande son d’un extrait de film.
A l’étage inférieur, un pan de mur entier est recouvert d’un juke box géant sur lequel les visiteurs peuvent choisir d’écouter Romy Schneider murmurant « la Chanson d’Hélène », le sautillant-mais-mélancolique « Porque te vas » de Jeanette, ou les chansons tout aussi mythiques de Bagdad Café, Flashdance… Chacun tapote du pied, attend, plus ou moins frétillant, son tour pour appuyer sur le bouton qui lui plaît, sourit avec une timide connivence à celui ou celle qui l’a devancé dans son choix, celui ou celle qui a osé aussi tendre un doigt un peu honteux vers l’étiquette la Boum… parce que nous, nous n’avons pas osé !
Évidemment, les options qui se présentent à nous mettent déjà en avant les indispensables de notre mémoire cinématographique collective. Nous nous retrouvons tous dans les extraits sélectionnés. Instructive jusque-là, étonnante, amusante aussi, l’exposition en devient émouvante. Comment si la petite quinzaine de personnes alignée devant le mur se retrouvait soudainement dans un espace imaginaire qu’elle ne peut que partager. Avant de passer la porte, nous ne le savions pas. Aux premières notes qui se diffusent, nous nous regardons, prenant conscience de ce monde en nous, en nous tous. Et puis vient le moment où, tant pis pour la pudeur, nous en crevons d’envie, on se met à chanter. Et on frissonne.
Au bout du chemin, au bout de l’échange, les visiteurs sont invités à traverser, à rester 5 minutes, ou à s’asseoir pour un long moment de diffusion d’extraits de films de tous genres ou presque, dans une grande salle plongée dans le noir. Alors, on dit discrètement, ou pas, à son voisin : « ah mais oui, il est super ce film ! » ou « j’ai jamais rien compris, pourtant je l’ai vu 3 fois », parce que d’un coup, d’un seul, la mémoire fait son œuvre et déterre ces souvenirs qu’on avait oubliés.
Au final, une visite très plaisante, touchante, un peu bondée de monde le samedi (du coup, difficile d’accéder à tous les écrans et de tout lire/voir/écouter) mais qui réserve un beau moment aux petits et grands et donne envie de se (re)plonger, casque sur les oreilles, dans tous ces films.
Pour en savoir plus :
- Sur la musique de film, un site très complet proposant histoire, analyses, références, etc. : http://www.cinezik.org/
Bien dit, bien, vu, bien écrit. Beaucoup de réalisateurs français ont peur de la musique, et plus précisément de la mélodie. Ils ont peur que ça vampirise la dramaturgie. Ca arrive, surtout dans les comédies. Du coup, ils se jettent de plus en plus sur des musiques existantes, qu’ils essayent au montage, et qu’ils gardent jusqu’au bout. Moins risqué que de faire faire une musique originale !