Tout le monde n’aimera pas le dernier Wes Anderson qui a les défauts de ses qualités : ce côté pop et kitsch dû à un amour des couleurs démesuré (les amateurs de rose bonbon seront ici servis), cette loufoquerie à la fois élégante et décalée qui peut parfois tomber un peu à plat, cette poésie surannée qui paraîtra délicate ou affectée, selon qu’on y est sensible ou non, cette esthétique hypra léchée à la limite de la parodie… autant de caractéristiques que l’on retrouve dans ses autres films mais qui atteignent ici leur summum, dans une luxuriance visuelle et esthétique aussi alléchante et légèrement écœurante que les pâtisseries Mendl’s qui jalonnent le film.
Le Grand Budapest Hotel, au look de maison de poupées, donc, traverse différentes époques au fil d’un récit lui-même construit comme une poupée gigogne : trois époques, trois niveaux de récits s’imbriquent. Une jeune femme au début du film ouvre le livre d’un écrivain qui relate le récit que lui fit, dans les années 60, le propriétaire du Grand Budapest Hotel. Soit l’histoire rocambolesque de cet homme, Zero Moustafa, jeune « lobby boy » faisant ses gammes, dans l’entre-deux-guerres, auprès du très distingué concierge de l’hôtel, M. Gustave, menant de main de maître ses équipes et ses amant(e)s. L’une d’elle, une vieille dame, meurt et nos deux héros sont alors emportés dans le tourbillon d’une machination ourdie par des méchants vraiment très très méchants et le souffle de l’Histoire. Le « monde d’hier », inspiré par les écrits de Stefan Zweig, tel est in fine le sujet du film, à travers le portrait d’un concierge intemporellement dandy, dans un univers qui s’effondre sans qu’il le réalise. Derrière la comédie, un petit vent tragique balaie donc discrètement la mèche impeccablement gominé de ce délicieux M. Gustave.
Si le récit, par bien des aspects, reste assez léger (l’intrigue « policière » est très ténue et la mélancolie demeure vague – ultime forme d’élégance ?), l’esthétique qui l’enveloppe l’est beaucoup moins : avalanche de détails, cadrages et travellings sur-travaillés, mélange de prises de vue réelles et d’animation, décors en maquettes… Même l’image est en 4/3 ! L’œil est étourdi par tant de couleurs, de trouvailles. Mais cette inventivité visuelle chatoyante, malgré son côté étouffant, a quelque chose de si jubilatoire qu’il faudrait être vraiment grognon pour ne pas y trouver son plaisir. Les décorateurs et costumiers s’en sont donné à cœur joie, tant dans la reconstitution des années 30 que des années 60, c’est non seulement magnifique mais drôle d’observer le contraste entre les deux époques. Et que dire du casting cinq étoiles ? Si Ralph Fiennes, immense acteur (si si j’insiste – et c’est pas parce que j’en suis amoureuse depuis 20 ans !), compose un M. Gustave de première classe, tout le reste de la distribution est à l’avenant, jusqu’au Français Mathieu Amalric, décidément apprécié des réalisateurs américains. Tout le monde a l’air ravi de se retrouver dans cette fantaisie haute en couleurs – qui n’est d’ailleurs pas sans évoquer Tintin, ce qui m’a, du coup, moi-même ravie.
Alors même si, parfois, le rythme qui se veut échevelé s’essouffle en cours de route – peut-être en raison d’une mécanique trop bien huilée – et que la pétillance perd un tout petit peu de sa fraîcheur, ce Grand Budapest Hotel, à la fois luxueux et commençant à sentir la naphtaline, reste, pour moi, un lieu hautement fréquentable. Drôle, tendre, attachant, à l’image des deux personnages principaux, symboles touchants de tolérance et d’amitié, dans un monde (fantasmé ?) mourant où émergent la haine et le fascisme.
Pour ma part, c’est un humour auquel je ne suis absolument pas sensible. Au moins je suis arrivé jusqu’au bout, « à bord du darjeeling machin » je m’étais assoupi au trois quart. Et ce petit coté faussement naïf « je fais des films sans prétention », alors que ça a dû coûter le produit intérieur brut du Bénin m’interroge un peu. Quelque acteurs s’en sortent bien, Adrian Brody notamment, finalement peut-être meilleur dans la comédie qu’ailleurs.
Globalement, je trouve les films de Wes Anderson surestimés aussi (pareil que toi pour « A bord du Darjeeling… », super long et mou du genou et « La vie aquatique » : RzzzzZzzz…) mais celui-ci fonctionne bien je trouve. Le côté BD m’a beaucoup plu, notamment l’usage des maquettes, la course à ski/luge en stop motion. Et, pour le coup, je trouve que le côté luxueux et avec prétentionS y est justement assumé donc plutôt sympathique, c’est kitsch à mort et the touch of « humour-qui-tombe-à-plat » correspond bien finalement au personnage principal, décalé et un peu à côté de la plaque dans ce changement historique 😉 Mais ce n’est certainement pas un film que je conseillerais à mes parents par exemple, ils s’y ennuieraient à mourir !