Parfois, il existe dans la vie des moments de grâce durant lesquels le temps semble se suspendre, les éléments s’agencer dans la plus évidente perfection, alors même qu’on n’a rien demandé à personne et qu’on n’attend rien de spécial. Parce qu’il en est ainsi. Samedi soir fut l’une de ces soirées magiques et miraculeuses : deux heures durant, Tori Amos a enchaîné, en solo, quasiment toutes mes chansons préférées – et même plus ! – dans une interprétation à tomber à genoux. Je pense que j’ai assisté au concert (d’elle) de mes rêves.
La dernière (et première) fois que j’ai vu Tori Amos en concert, c’était il y a quasiment 10 ans. En 2005, pour la tournée « The Beekeeper », il me semble : je crois me souvenir qu’elle avait chanté plusieurs morceaux de cet album et qu’elle était, comme samedi soir, seule en scène, à se trémousser lascivement entre ses deux claviers. J’y étais allée complètement par hasard, invitée par une compatriote admiratrice « lutensienne ». Tori Amos, j’aimais bien, sans plus ; contrairement à ma meilleure amie qui adorait Boys for Pele et tripait sur « Professional widow » dans les années 90, je m’en étais arrêtée à son premier album, excellent, Little Earthquakes, bien plus mélodique à mes oreilles simplettes. Et là, la claque.
J’avoue que je ne me suis guère penchée sur tout l’aspect conceptuel de son oeuvre (expérimentations musicales, sujets souvent axés autour des femmes : viol – dont elle fut victime -, onanisme féminin, disparition de femmes à Juárez, albums thématiques tels Scarlet’s walk, dont chaque chanson raconte l’épisode d’une histoire globale…), en revanche, la sensualité que l’association de sa voix et de son piano dégage m’a toujours énormément plu et elle fait sans conteste partie de mes dix artistes musicaux préférés.
Pourtant, bizarrement, je n’étais jamais retournée la revoir, peut-être en raison du prix des places, toujours un peu rédhibitoire. C’est donc une seconde fois par hasard que je me suis décidée trois jours avant. J’ai loupé plusieurs concerts, entre ces deux tournées, mais celui de samedi était tellement proche de l’absolue perfection que je ne regrette rien !
Arrivés après la première partie, quelques minutes avant le concert de Tori, nous avons tout le loisir d’observer la scène : neuf panneaux de (fausses) briques, très sobres ; un sublime Bösendorfer et un clavier électrique (remplacé plus tard par un orgue) entre lesquels trône un tabouret. Je suis très heureuse de l’entendre de nouveau en solo, bien que je ne l’aie jamais vue avec un groupe, qui doit sans doute ajouter une touche différente à ses chansons, mais je m’inquiète pour mon accompagnateur : je crains qu’il s’ennuie un peu, surtout qu’il ne connaît pour ainsi dire rien de l’artiste, dont les musiques ne sont pas toujours très accessibles.
A 20h30, Tori débarque sur scène, sous les acclamations d’un public fidèle et enamouré, petite silhouette noire encadrée d’une chevelure de feu, des hauteurs où nous l’apercevons. Même de loin, elle rayonne. Au son des premières notes de « Parasol », je le sais : nous allons assister à un concert exceptionnel. Voix à la fois profonde et claire, d’une justesse impeccable, piano tourbillonnant en volutes graves puis aiguës, gouttelettes de notes mélancoliques se transformant soudain en martèlements volontaires… Cette chanson, que j’aime beaucoup sur album, ici revisitée, prend sur scène une dimension à la fois charnelle et divine. C’est d’une beauté qui me coupe le souffle. Vous pouvez en entendre une version ici. Même mon voisin se tourne vers moi pour me signifier qu’il est impressionné.
Parmi les autres temps forts de sa setlist, la plus à mon goût de toutes celles de sa tournée jusqu’à présent, je retiendrai personnellement l’immense bonheur d’avoir entendu, en live, « Boucing off clouds » aux réminiscences kate bushiennes (à qui on l’a souvent comparée), « Crucify », absolument génial, Tori terminant sa performance par un grand coup sonore sur son Bösendorfer, puis « Northern Lad », l’une de mes chansons préférées, peut-être même ma préférée, une ballade absolument déchirante qui m’a filé des frissons tout le long et m’aurait fait me rouler par terre si je n’avais pas été coincée sur un fauteuil.
Petit moment adorable : quand elle se trompe et improvise au piano sur son plantage ! So cute! On a beau ne pas la distinguer du balcon haut, on sent son plaisir d’être là, pour nous, parmi nous (bon, vu le prix de la place, elle peut, hihihi). Energie, émotion, bonne humeur, blagounettes, tout y passera en deux heures de show solo.
Autre énorme surprise et coïncidence : son interprétation de « Tiny Dancer », un classique méconnu d’Elton John, dont je suis une grande fan depuis vingt ans. J’en reste bouche bée, car Tori a l’habitude de faire des reprises très diverses, de Nirvana à Metallica en passant par Leonard Cohen, et la probabilité qu’elle interprète Elton ce soir-là était assez minime. Jolie reprise, quoiqu’un peu molle à mon goût, mais en matière d’Elton, je suis exigeante et il est rare que j’apprécie les copies, aussi bonnes soient-elles. Néanmoins, je suis aux anges, avec l’impression candide qu’on m’offre un cadeau personnel. Je découvre également une autre chanson magnifique, grâce à sa cover de « Boys in the trees » de Carly Simon, que je ne connaissais absolument pas.
Après quelques très beaux morceaux (« Leather », « Weatherman », « Horses », sublime), voici une nouvelle émotion pour mon petit coeur et mes petites oreilles déjà bien comblés : « A Sorta Fairytale » ! Une version piano assez différente de l’album, moins rythmée mais plus rêveuse, plus mélancolique aussi. Autant dire que je trépigne toute seule en mon for intérieur.
J’ai enfin la chance d’entendre aussi une version assez étrange de « Raspberry Swirl » qui fait elle aussi partie de mon top 10. J’en rêvais mais n’osais l’espérer. Comme quoi, c’était ma soirée ! Malgré son côté « Bontempi » rigolo, elle est bien mieux que le décevant karaoké de « Cornflake Girl » (elle aussi dans mon top 10 habituellement) sur laquelle l’utilisation exceptionnelle d’une bande son écrasait totalement le piano et la voix de Tori. Une faute de goût un peu étonnante (peut-être pour dynamiser l’ensemble du concert ?), réitérée un peu plus tard avec, issue de son dernier album Unrepentant Geraldines, « 16 Shades Of Blue » que, personnellement, je déteste. Toutefois ce playback semi-raté n’a pas empêché le public – dont moi – d’être tout déchaîné sur « Cornflake » ! Public qui a, lors du rappel, chanté en choeur « Mr. Zebra » : trop chou !
Je n’égrainerai pas toute la setlist, que vous pouvez voir ici :
Here’s tonight’s setlist from Paris! #toriamos #Paris pic.twitter.com/4f8D1QkUUk
— tori amos (@therealtoriamos) 17 Mai 2014
A 2-3 exceptions près, un peu longuettes, c’était la setlist sans faute. S’il y avait un unique petit reproche à faire à ce concert, c’est l’abus d’effets « reverb » qui, à la longue, et notamment sur de longs morceaux un peu monotones comme « Mother », pouvaient produire une espèce de soupe sonore quelque peu indigeste. Dans la mesure où la voix de Tori Amos est naturellement belle et son style pianistique souvent luxuriant, je trouve un peu inutile d’en rajouter dans les échos pour accentuer le côté céleste ou planant. Sa musique, riche, se suffit à elle-même, elle peut vite devenir étourdissante.
Hormis ce léger bémol, vous l’avez compris, pour moi, ce concert fut de haute tenue. Il manquait bien sûr certains morceaux que j’aurais adoré entendre en live, mais du coup, cela me fera une occasion d’y retourner ! J’ai hâte !
Le concert en écoute intégrale (son +) :
Pour en savoir plus :
- Tori Amos : official website, Twitter
Photo et vidéos de Johan Zimoo, avec son aimable autorisation (plus de vidéos et d’images sur son blog)