Découvert samedi soir au Théâtre de la Ville, le très beau Celui qui tombe de Yoann Bourgeois, acrobate, chorégraphe, m’a impressionnée par sa maîtrise, sa poésie visuelle et son équilibre harmonieux entre danse et cirque, mouvement et stabilité, drôlerie et émotion, légèreté et pesanteur, envol et chute, humains et décor (etc.). En dépit d’un passage un peu longuet au milieu, mais qui participe du rythme général, cette prouesse technique et physique est un moment de pur plaisir.
Descendant du ciel obscur, un grand (enfin, pas si grand, finalement : 6 mètres sur 6) plateau de bois carré épais, grinçant effroyablement comme une coque de navire malmenée par les flots. Sur ce massif esquif ou cette plate planète, six personnes : trois femmes, trois hommes. Accrochés aux bords, tentant de remonter la pente, roulant au gré des mouvements du plateau, manquant de peu de tomber. On pense immédiatement au Radeau de la Méduse de Géricault devant certaines compositions de groupe. Nous sommes, spectateurs, rivés à nos sièges, curieux de savoir ce qui va se passer et peut-être même un peu avides d’une probable catastrophe – tant nous savons, depuis Camille Boitel, à quel point l’art de la chute peut aussi être jouissif.
Durant un peu plus d’une heure, les six danseurs acrobates auront été bien malmenés par cette plateforme, capable de tourner sur elle-même comme une toupie folle ou encore de se dresser à 90 degrés, telle un mur infranchissable. La plus belle partie de ce singulier spectacle, encore différent de tout ce qu’on a pu voir jusqu’à présent, est sans conteste celle où les danseurs sont soumis à la rotation horizontale du plateau. Courant en sens inverse, s’immobilisant, s’étreignant, chutant ou enjambant les corps à terre, ils penchent de façon invraisemblable vers le sol, comme à la fois attirés et repoussés par lui. Le spectacle de cette course absurde a quelque chose de profondément touchant, il s’y joue quelque chose qui nous évoque notre condition humaine, faite de lutte ou de laisser aller, de solitude ou solidarité.
Le public, totalement emporté, n’a pas hésité à applaudir vigoureusement au terme de cette séquence tout simplement magnifique.
Après un passage plus flottant, dans tous les sens du terme (la partie polyphonique était franchement plus faible), le dernier tiers du spectacle achève de mettre tout le monde d’accord, tant l’exploit physique des six comédiens est remarquable. Ils poussent la lourde scène de bois pour la faire se balancer et se laissent tomber juste à temps sous elle, à son passage, se relèvent, se font éjecter sous son choc… Un numéro parfaitement millimétré.
Yoann Bourgeois nous offre une création inclassable, à laquelle on pourra, pour les plus pointilleux, reprocher que la virtuosité prenne un peu le pas sur le reste. Néanmoins, c’est un beau défi qu’il a relevé, d’explorer les multiples possibilités de son dispositif, pour nous narrer, sobrement et efficacement, l’Aventure de la vie : tomber sept fois ; se relever huit.