Il y un an, nous découvrions avec enchantement, au Zèbre de Belleville, le spectacle musical d’un charmant duo, ensemble à la ville comme sur scène : Peau neuve, de Lili Cros et Thierry Chazelle (relire notre chronique ici). Un tour de chant inclassable, plein d’humour et d’amour, rythmé, mêlant plusieurs styles musicaux, et deux voix différentes et complémentaires. Les voici de retour à Paris, après avoir connu le succès dans le Off d’Avignon l’été dernier, et avant d’entamer une tournée, que nous leur souhaitons triomphale, dans toute la France. Le monde en nous soutient chaleureusement le spectacle et a souhaité en savoir plus sur ce couple artistique, dont la tendre complicité est évidente même autour d’un thé. Nous en profitons pour vous offrir des invitations pour aller les applaudir à Paris et Lyon, en fin d’interview : profitez-en, bonheur garanti à la sortie !
MarCel : bonjour Lili et Thierry, merci de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous, pour commencer, nous raconter vos parcours respectifs, jusqu’à la formation de votre duo en 2008 ?
Thierry Chazelle : j’écris des chansons depuis que je suis petit. La première, j’ai dû l’écrire vers onze ans. J’étais fasciné par mon oncle qui jouait de la guitare et, très vite, j’ai eu envie d’en jouer. On m’a donc inscrit à l’école de musique la plus proche. Ensuite, j’ai fait le Conservatoire, jusqu’au prix, pour devenir guitariste professionnel. Mais ce que je fais en chanson aujourd’hui, je l’ai plutôt appris dans la cour de récré. A cette époque-là, on était nombreux à jouer de la guitare, on apprenait les uns des autres, en se regardant, en se refilant des trucs. Je dis souvent que je suis le produit du Conservatoire et de l’école de la rue, parce que c’est ce mélange des deux qui m’a donné envie d’écrire de la musique – et de la chanson en particulier. Et puis, les aléas de la vie ont fait que, vers la fin des années 80, je suis devenu informaticien développeur. J’ai écrit des logiciels pendant douze ans, ce qui a été très intéressant car, à l’époque, nous étions des pionniers de la micro-informatique et ça été exaltant de faire partie de cette révolution. Au bout de douze ans, la musique m’a rappelé à elle. J’avais un très beau travail, de l’argent, mais j’étais quand même malheureux de l’avoir quittée. Je me suis donc relancé dans la musique et il m’a fallu une bonne dizaine d’années pour redevenir professionnel. J’ai rencontré Lili (on est en couple depuis 2000) et on a attendu sagement huit ans avant de faire de la musique ensemble ! La formation de ce duo, en 2008, a été une renaissance, la grande aventure qui nous porte toujours aujourd’hui. Aujourd’hui, on est presque à 600 concerts depuis la création du duo, chose que je n’aurais jamais imaginée !
Lili Cros : depuis toute petite, j’ai toujours aimé chanter. Ma mère m’a dit un jour qu’il existait des écoles de musique, alors j’ai insisté pour y aller ; j’avais 8 ans. J’ai trouvé que la musique était un moyen de communication génial. J’ai toujours été très timide. Je crois que les grands artistes souffrent de ne pas arriver à montrer qui ils sont, leurs bons côtés… Ils ne montrent que les côtés “j’ai les mains moites et je rougis quand on me parle”, on se sent idiot, inintéressant. Alors que, quand on est sur scène, on a une opportunité de montrer quelque chose, qui est préparé quelque part, et plus on fait de concerts, plus on réalise que c’est une jolie place à prendre dans le monde. Et on devient de moins en moins timide. Le trac demeure mais s’efface un peu lors des concerts. Par ailleurs, on a cette chance de parfaitement s’entendre avec Thierry : on est très complices, on se soutient, quand l’un flanche, l’autre est là pour lui remonter le moral, le booster… C’est une force d’être deux et pas tout seul à porter un projet.
MarCel : Lili était déjà chanteuse avant votre duo. Et toi, Thierry, tu avais déjà enregistré quelque chose ?
Thierry : avant ce duo, j’ai écrit trois albums. Le premier s’appelle Avis de tempête. Comme j’étais musicien classique, je l’ai enregistré avec un orchestre de 28 cordes, en Bulgarie, car je ne pouvais pas m’offrir l’équivalent en France. Ca a été une grande aventure. Deuxième album, jamais sorti, enregistré complètement chez moi, assez électro : Un monde meilleur, que j’ai ré-enregistré en version acoustique avec une violoncelliste extraordinaire qui m’en a donné l’envie. Lili en avait deux de son côté : le premier s’appelle Lili Cros (ce qui est une bonne idée), que j’adore ; le deuxième, La fille aux papillons. Quand elle a sorti son deuxième album et moi, mon ré-enregistrement, on a eu cette idée, inédite dans le monde du disque, de réaliser deux pochettes séparées qui, une fois mises côte à côte, ne formaient qu’une seule image, liée par un câble qui formait un “plus”. Très naïf et très prémonitoire ! Le site s’appelle d’ailleurs “liliplusthierry” en hommage à cette période-là. Tous les professionnels nous avaient déconseillé de faire cette chose iconoclaste et, finalement, tous les articles de presse se sont focalisés sur le fait qu’on avait deux pochettes qui s’assemblaient. Comme quoi, quelquefois, il ne faut pas hésiter à faire des choses prétendument pas faisables…
MarCel : avez-vous repris certaines de vos chansons solo pour vos albums et spectacles en duo ?
Lili : au tout début, nous avons utilisé les chansons de ces albums séparés dans notre premier spectacle, mais on ne les a pas ré-enregistrées en version duo. Nos albums en duo ne contiennent que des nouvelles chansons, finalisées ensemble. En revanche, on est en train de le faire, avec la chanson “Le Havre”, qui était dans un album de Thierry, qu’on continue de jouer sur scène et qui sera sur le quatrième album. On a pris la décision de travailler avec un réalisateur sur ce prochain album, et c’est la première chanson qu’on a testée.
MarCel : un réalisateur, c’est-à-dire ? Ce n’est pas un producteur ou un arrangeur ?
Thierry : un réalisateur, c’est quelqu’un qui aurait le même regard extérieur qu’un metteur en scène, mais pour le disque. Souvent, oui, les réalisateurs sont arrangeurs ; là, on a travaillé avec Albin de la Simone, qu’on admire énormément, à la fois pour son écriture, ses qualités de musicien, de chanteur, ses idées toujours originales… Il a cette qualité de partir de ce qu’on fait et de rester minimaliste dans ce qu’il ajoute. Tout ce qu’il apporte en plus est de bon goût, bien vu et très complémentaire. C’est un musicien très fin et on est fiers de travailler avec lui, parce qu’en plus, c’est quelqu’un qui est assez demandé dans ce domaine-là.
Lili : il travaille en binôme avec un super ingénieur du son, Jean-Baptiste Brune. C’est un tandem idéal pour nous parce que, à la fois on garde la main sur le côté créatif, c’est-à-dire qu’on reste décisionnaires, et toutes les idées nous sont proposées sans qu’on ait à tenir les micros pour enregistrer les instruments. Thierry a fait les prises de son des deux premiers albums, et notre ingénieur du son de scène celles du dernier, mais ça restait “fait à la maison”. Là, ce qui est vraiment chouette, c’est de se sentir “comme des artistes” en fait, que tout soit entièrement pris en charge au moment de l’enregistrement. Ca ne nous est jamais arrivé.
MarCel : comment, concrètement, s’est formé votre duo ?
Thierry : notre duo a la particularité de s’être créé au Québec, pour le Festival de Tadoussac, sur le Saint-Laurent où les baleines se retrouvent pour faire des baleineaux, des bébés de 10 ou 15 mètres… Pour cette petite tournée, Lili a vendu au Festival un duo qui n’existait pas ! C’est à cette occasion qu’on a découvert ce que c’était que d’être ensemble sur scène, de produire un concert tous les deux…
Lili : oui, j’ai menti ! Au départ, il y avait un petit budget qui avait été voté pour un mini festival en juillet à Tadoussac et la programmatrice voulait me programmer avec mon groupe. Mais elle avait très peu de budget et je ne pouvais pas venir avec mes musiciens. C’est là que j’ai proposé à Thierry de monter un répertoire tous les deux : “on s’en fiche, ça nous fera un beau voyage et on aura un petit cachet à l’arrivée, super, on y va” ! Voilà, ça s’est fait comme ça ! Auparavant, je n’avais jamais fait de prospection pour trouver des dates et lieux de concert, mais quand on a eu cette opportunité d’aller au Québec, j’ai tout fait pour qu’on y joue plusieurs fois (tu repères un endroit, tu envoies ta musique – à l’époque c’était des liens MySpace…)… et on a fait 7 concerts en 10 jours ! C’était assez sportif ! On a même bouclé une date d’une cabine téléphonique !
Thierry : il faut dire qu’au Québec, c’est plus facile de trouver des dates qu’en France, parce que c’est beaucoup au partage de recettes, ils sont assez spontanés sur ce genre de proposition, ils savent que s’ils ne disent pas oui tout de suite, bin on ne sera pas là la semaine prochaine, quoi !
MarCel : comment se passe le processus de création entre vous deux ?
Thierry : Lili a une façon d’écrire très particulière : elle se documente énormément. Par exemple, quand elle écrit une chanson sur les Indiens du Canada, comme “La fièvre”, elle va regarder des films, faire des recherches sur Internet, lire des bouquins, etc. Elle produit ses textes très lentement, mais très sûrement : chaque phrase est conservée. Elle écrit de jour essentiellement. Moi, j’écris plutôt de nuit, énormément, et je jette beaucoup ; c’est beaucoup plus brouillon, je passe mon temps à recopier des choses, en les élaguant, etc. Au-delà de ça, nous tenons à ce que chacun garde sa voix, parce que notre duo, c’est avant tout une association de deux auteurs-compositeurs-interprètes et ce serait dommage qu’on n’ait plus qu’une seule plume qui serait une sorte de moyenne de nous deux. Donc il est très important qu’on continue d’écrire et prendre la parole, je dirais, “chacun son tour”. Notre façon d’écrire est ainsi très paritaire : si on fait un album de 12 titres, eh bien, il y aura 6 textes chacun. Et, personnellement, je pense que cette parité, à laquelle je suis très attaché, a aussi une valeur symbolique. Quant à la musique, c’est plus facile, parce que ça repose un peu plus sur le jeu, sur l’improvisation. On arrive souvent avec une idée plus ou moins aboutie de ce qu’on veut faire, l’autre personne intervient sur ce qui est proposé et, finalement, ça devient une musique composée à deux. Ca aussi, on l’a choisi volontairement parce qu’on s’est rendu compte qu’on était meilleurs compositeurs à deux que séparément. On compose généralement à la guitare ou mandoline et basse. Parfois à partir d’une des rythmiques. D’autres fois, une musique sur laquelle on a écrit un texte peut être modifiée car elle ne convient finalement plus. C’est assez varié, il n’y a pas un chemin unique pour arriver à une chanson.
Lili : j’écris beaucoup avec la basse. J’aime particulièrement la mienne, qui est une électro-acoustique et qui sonne déjà sans être amplifiée. Elle me permet de créer des patterns rythmiques qui m’inspirent pour l’écriture des textes ensuite. Au départ, je suis pianiste. Comme beaucoup d’élèves de Conservatoire, j’ai eu une quête de liberté qui ne passait pas par l’instrument que j’avais appris avec des partitions. Apprendre la basse – et un peu la guitare -, seule, m’a permis de libérer ma créativité. Quant aux thèmes, c’est souvent ce qui traverse nos vies. Et souvent, on a des chansons appairées. C’est-à-dire que sur un même thème, on va avoir deux chansons différentes, mais qui parlent de la même chose qu’on a vécue ensemble. C’est ça qui est rigolo.
Thierry : par exemple on a une chanson sur ses grands-mères et moi, une chanson sur mon grand-père.
Lili : ou la jalousie, c’est “Clint Eastwood” et “Tiki iou”… Souvent, on se répond en chanson ! Quand il écrit une chanson rigolote, j’ai envie d’écrire aussi une chanson rigolote.
Thierry : quand Lili m’apporte une chanson que je trouve super, j’ai moi aussi envie de lui répondre un truc super, mais différent, qui ne soit pas du copiage. La construction de nos spectacles se fait beaucoup sur ce principe.
MarCel : pour présenter ce troisième album, Peau neuve, sur scène, vous avez décidé faire appel à un metteur en scène, Fred Radix. Pourquoi ?
Thierry : ça faisait déjà longtemps qu’on travaillait avec des metteurs en scène, mais quand on a fait Avignon en 2014, on a vraiment basculé dans le spectacle pour se décaler un peu du concert habituel. Parce qu’on s’est rendu compte que le concert reposait sur quelques ficelles qui sont toujours les mêmes : “bonsoir, je vais vous chanter une chanson extraite de mon prochain album”, ce type de phrases qu’on ne veut plus prononcer. Les arts de la scène : le clown théâtre, le nouveau cirque, le théâtre d’objets… nous ont beaucoup influencés et déplacés.
MarCel : et pour aller dans cette direction, vous avez donc pris des cours spécifiques…
Lili : oui, on a fait deux stages de clown : l’un au Samovar à Montreuil, avec François Pilon qui est d’ailleurs notre deuxième metteur en scène sur ce spectacle ; l’autre à Nantes avec un clown argentin, Gabriel Chamé. On a également suivi en Italie un stage international de “body music” : musique avec le corps, percussions corporelles mais aussi sons avec la voix, bref, tout ce qu’on peut faire comme son avec le corps. C’était passionnant ! On s’est retrouvés certainement les plus âgés et inexpérimentés au milieu d’une foule de jeunes talents dynamiques avec une patate énorme, des groupes constitués… On en a pris plein les yeux, les oreilles, le cœur, c’était extraordinaire. Mais ça ne nous a pas découragés, au contraire ! C’est ce que j’apprécie dans notre duo et ce qu’on vit avec Thierry : ce qu’on voit a tendance à nous stimuler. A chaque fois, on se dit “ah ouais, si on essayait ça ?” On a tout le temps envie de jouer à essayer des nouveaux trucs. Encore une histoire de liberté et d’ouverture, vraiment, et j’espère qu’on restera comme ça jusqu’à la fin de notre vie, qu’on gardera cet esprit ouvert, cette envie d’apprendre à faire de nouvelles choses, d’essayer… Ce n’est jamais grave d’essayer des choses, on ne peut pas se tromper en essayant !
« Ce n’est jamais grave d’essayer des choses, on ne peut pas se tromper en essayant ! »
Lili
MarCel : en effet, le rythme est très présent dans votre spectacle. L’instrument de percussion que vous utilisez au sol, ça existait déjà ou c’est vous qui l’avez inventé ?
Thierry : ça n’existe pas sous cette forme (car ce n’est pas la première fois dans l’histoire de la musique que des gens tapent des pieds sur une planche), c’est une invention. C’est venu d’une idée : dans le spectacle précédent, Lili jouait de la grosse caisse et comme on avait décidé de débarrasser le plateau de tous les oripeaux musicaux habituels, les stands, les pieds de micro, les instruments, on était un peu embarrassés avec cette grosses caisse et on s’est demandé si on pouvait en reproduire le son avec quelque chose qui serait invisible. On a donc eu l’idée de ces petites estrades qui ne laissent pas supposer que ça va faire un son de tambour. J’ai fait sept ou huit prototypes avant d’arriver à quelque chose qui sonne, cet instrument qu’on a appelé le “tapadonf”. Ca nous a permis d’allier la musicalité et le côté spectaculaire de cet engagement physique, car taper du pied, ce n’est pas neutre, c’est fort, cela met tout le corps en mouvement. Ce n’est pas évident de jouer d’un instrument et de chanter en même temps. Mais ça correspond exactement à l’engagement corporel qu’on voulait dans ce spectacle, beaucoup plus important que ce qu’on connaissait jusqu’à présent en se cachant derrière un micro.
MarCel : Peau neuve a d’excellentes critiques : Télérama, La Croix, Le Monde, Le Canard enchaîné… ! C’est un vrai succès d’estime ! Le succès public, qui est réel aussi, vous semble-t-il à la hauteur de ces éloges ? Et quelle est la place que vous pensez avoir dans le paysage de la chanson française, qui est très varié et où de nombreux talents sont un peu injustement éclipsés par la concurrence et le marketing ?
Thierry : c’est intéressant, cette attention des médias est tout-à-fait récente. Ca date vraiment d’il y a quelques semaines, même s’il y a eu des “précurseurs”, Télérama et La Croix. C’est très encourageant pour nous d’être soutenus par cette presse. D’abord, on le doit au travail formidable de notre attaché de presse qui est quand même un héros car il a réussi à les faire venir au concert ! Et puis, tout ce travail qu’on a fait pour se décaler du concert, cette exploration d’un nouveau domaine dans lequel on s’aventurait sans savoir du tout comment cela serait perçu, tout ce travail est compris aussi bien par les médias que par le public. Apprécié et reconnu. Quant à la place qu’on a dans ce métier ? Déjà, on est des artistes indépendants, on n’est donc pas dans les grands réseaux médiatiques – pour l’instant en tout cas. On a une place un peu à part. On l’espère, en tout cas.
Lili : ce qui se passe en moment, c’est justement tout un tas de signaux qui nous disent qu’on a une place, qui devient de plus en plus grande. Les gens à la sortie nous disent que notre spectacle fait du bien, qu’ils ressortent avec le sourire, qu’ils ont retrouvé la pêche, qu’ils sortaient du boulot et n’avaient pas forcément envie de venir, mais qu’ils en ressortent avec l’envie de faire des trucs le lendemain… Ca nous encourage à continuer. Et je me dis aussi qu’il faut continuer à travailler, à être sincère… On nous parle aussi beaucoup de ça, de la sincérité, les gens se posent la question de savoir si on est ensemble dans la vie, parce qu’on a cette complicité naturelle, qui est réelle. Quand on est sur scène, on a une autre forme de complicité, qui est un cran au-dessus, même. On fait beaucoup de choses dans la journée, donc quand arrive le soir, c’est le moment où on se retrouve, où on “se lâche”, sans que ce soit impudique. Ca reste deux forces qui s’allient.
Thierry : si je dois être tout-à-fait honnête, quand on a commencé notre duo, on a eu des critiques là-dessus, sur le fait qu’on était souriants tout le temps, qu’on ne s’affrontait pas assez, qu’on n’était pas le couple qui s’engueule, qui est jaloux, qui se prend la tête sur scène, comme ça arrive souvent dans les spectacles avec des couples, où on met en scène plutôt les conflits. Les premiers retours nous disaient que ce n’était pas tellement intéressant le bonheur, le sourire, tout ça, c’était un peu chiant. Quand on a ce genre de critiques, il y a deux solutions : soit on en tient compte… soit on décide d’aller encore plus loin ! Et nous, c’est ce qu’on a fait naturellement. Et finalement, on a eu raison parce qu’on est allé explorer des domaines où la complicité est une valeur. Deux musiciens complices, c’est une valeur ! Dans l’engagement corporel, dans la danse par exemple – on a des petites chorégraphies, très légères, ensemble -, la complicité est une valeur ! Et puis on a vu un spectacle de clowns qui nous a beaucoup impressionnés : Pss Pss des Baccalà Clown. C’est deux clowns qui se retrouvent comme des couillons sur une scène et qui s’encouragent l’un l’autre à faire des choses parce qu’il y a un public, et qu’ils sont bien obligés de proposer quelque chose. C’est l’un des spectacles qui nous a le plus touchés dans notre vie.
« La complicité, c’est une valeur ! »
Thierry
Lili : on s’est reconnus !
Thierry : c’était un peu “bah vas-y, toi, fais quelque chose” et petit à petit, ils finissent par faire un truc complètement incroyable parce qu’ils se sont encouragés l’un l’autre au lieu de se tirer dans les pattes, à l’encontre de ce qu’on voit habituellement : Laurel et Hardy, le clown blanc et l’auguste, le martyrisé et le bourreau, l’intelligent et l’idiot… Là, on avait deux clowns qui avaient le même niveau d’intelligence et de compétence et qui étaient ensemble. Et tout-à-coup, on s’est dit “ah bah c’est ça, en fait, notre chemin à nous !”
MarCel : en dehors de Pss Pss, quelles sont vos autres influences ou inspirations, dans la chanson… ou ailleurs ?
Thierry : on nous pose souvent la question et on a souvent tendance à répondre des influences de chanson, alors qu’en réalité, elles ne sont pas tant que ça dans la chanson ! Bien sûr, on a comme tout le monde, écouté des groupes anglais qui nous ont transportés, aimé quelques artistes français extraordinaires du patrimoine, mais les artistes qui nous ont certainement le plus influencés sont des gens comme Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely, deux plasticiens.
Lili : ils ont travaillé ensemble tout en étant amoureux. Et leurs deux talents associés ont, à notre sens, donné une production plus intéressante que ce qu’ils faisaient séparément. Notamment le Jardin des Tarots en Toscane ou les fontaines de Beaubourg. Les mécanismes qui animent les sculptures de Niki de Saint Phalle sont de Tinguely. Et elle c’est la couleur, la rondeur… C’est les deux opposés qui s’associent pour créer quelque chose de particulier, singulier et poétique. Et ça fait partie des choses qu’on essaie de faire avec nos différences de musiciens.
Thierry : c’est l’acceptation des contraires, des différences. Ces deux chemins artistiques très différents sur le papier, une fois réunis dans une œuvre, donnent quelque chose de profondément humaniste, qui parle à tout le monde. Un autre couple qui nous a influencés : Bacri / Jaoui. Les films écrits par ces deux auteurs ont, pour moi, une profondeur qui est probablement supérieure à la somme des deux parties.
Lili : c’est un point de vue, bien sûr, mais ce qui nous a touchés dans leur production, c’est de se dire “c’est génial de pouvoir écrire ensemble”. D’ailleurs, je crois qu’ils continuent d’écrire ensemble, même s’ils ne sont plus ensemble dans la vie, parce qu’ils ont trouvé un fonctionnement plus grand qu’eux-mêmes ?
MarCel : tout à l’heure, vous avez évoqué votre collaboration avec Albin de la Simone. Y-a-t-il d’autres artistes actuels avec lesquels vous aimeriez travailler ?
Thierry : comme on est des indépendants, en plus de nos deux metteurs en scène, on a “recruté” l’un de nos amis musiciens pour être notre directeur artistique : Ignatus. Il fait le tri entre nos “bonnes” et “mauvaises” chansons, c’est lui aussi qui nous demande d’en améliorer certaines quand elles sont trop faibles. Le prochain spectacle sera créé avec nos deux metteurs en scène, qui nous aident à aller plus loin. Et puis on a aussi Eric et Florian, nos régisseurs son et lumière, qui nous apportent leur créativité, leur savoir faire. Donc en fait, on est déjà loin d’être tout seuls, d’être seulement deux. C’est en fait un “duo étendu”.
Lili : on travaille aussi avec l’Art en boîte, une boîte de production vidéo sur Nantes, et Damien Dutrait, pour réaliser nos clips. Et puis on fait beaucoup de choses nous-mêmes : des petites vidéos, des photos, pour animer notre page Facebook… Thierry essaie d’être le plus régulier possible. C’est super ! On essaie de développer d’autres médias sociaux car aujourd’hui, en tant qu’indépendants, c’est quand même le nerf de la guerre ! Je me remets d’ailleurs à mon blog www.lilicros.com/blog !
MarCel : pour l’instant, aucun retour au solo ne vous tente ? Vous misez tout sur le duo ?
Lili : ça nous travaille parfois, on y pense. J’ai souvent ces pensées qui me traversent mais je me dis “ces envies-là, je peux tout-à-fait les vivre au travers du duo”. Il faut rediriger toutes ces pulsions créatrices vers le duo parce que c’est aussi notre espace de liberté à deux. Et puis Thierry est toujours très ouvert à ce que je lui propose : je suis plutôt dans le poétique, ça lui plaît beaucoup, et moi je suis très sensible à son humour, donc c’est intéressant. En général, on censure plus son propre travail que celui de l’autre. On continue à s’additionner, et tant que c’est comme ça, c’est bien. Il y a vraiment de la place pour chacun.
Thierry : je suis très fan de Lili, et c’est la raison pour laquelle j’hésitais à jouer avec elle, parce que j’avais peur de faire baisser le niveau ! J’avais des complexes ! Je suis tout-à-fait émerveillé par sa production, quelles que soient les choses qu’elle m’amène, à part quand je trouve ça vraiment pas bien et qu’on en convient tous les deux… J’attends qu’elle me surprenne, je suis ouvert à tout. Ce duo est un grand espace de liberté et on l’a toujours souhaité comme ça. On n’est pas du tout dans un créneau.
MarCel : musicalement, votre spectacle est d’ailleurs très varié : musique amérindienne de “La fièvre”, chanson, rock, blues… Comment vous choisissez le style musical ?
Lili : c’est le texte qui souvent amène l’esprit, décide de l’univers musical. Le rythme aussi. Personnellement, je trouve qu’un style musical, c’est souvent un rythme. On n’a jamais vraiment décidé du style qu’on allait faire, on se base surtout sur les histoires qu’on raconte… C’est l’inverse de ce qui se fait habituellement dans la chanson, où on décide d’un univers, d’une couleur musicale… Ca peut être aussi un défaut pour certains, mais pour nous, c’est l’opportunité de ne jamais s’ennuyer ! On est deux aussi sur scène, il faut diversifier un peu !
Thierry : je trouve que la mode ou l’époque est aux artistes “monochromes”. Qui répètent souvent les mêmes recettes, qui restent dans une couleur bien déterminée, pour leur “cible”. Nous, à partir du moment où on a accepté de former ce duo (Lili venait du rock n’ roll et moi de la chanson française et il aurait été ridicule que l’un impose son style à l’autre), on savait qu’on était hétéroclites… Donc on s’est donné toutes les libertés.
Lili : c’est peut-être pour ça qu’on a bifurqué vers le spectacle parce qu’il a fallu trouver pourquoi on tenait tant à cette liberté.
MarCel : outre la tournée qui s’annonce dense, quels sont vos projets dans un futur proche ?
Thierry : la tournée de Peau neuve va se prolonger sur toute la saison 17-18, et certainement une partie de la saison 18-19. C’est un plaisir car, on l’avoue, jouer tous les soirs au théâtre, on adore !
Lili : d’ici là, il faut qu’on avance sur la suite : le prochain album… qu’il faut écrire ! Cette année sera aussi une année où on écrit, où on s’inspire, où on aura un peu de temps, j’espère, pour se poser chez nous, dans le Morbihan. C’est très important pour nous de trouver le temps de faire les bonnes chansons. Et puis commencer à prévoir le prochain spectacle qui ira avec le disque. Si on veut encore innover, il faut anticiper dès à présent, faire des essais, tester plein de choses… On est en plein dedans, là, en même temps que la tournée !
MarCel : c’est facile de vivre de cette passion ?
Thierry : oui et non. On a eu beaucoup de mal à se hisser à un endroit où on est reconnu un peu professionnellement. Mais maintenant, après huit ans de duo, on peut dire, oui, qu’on en vit bien.
Lili : ce n’est pas facile, tu le sais, comme tout intermittent du spectacle ou tout porteur de projet, ça file entre les doigts. On remet tout en cause quasiment tous les mois, il faut sans arrêt refaire le point. Mais on est tellement heureux de mener cette vie et d’avoir toujours ces envies qu’on s’accroche.
MarCel : vous avez la chance d’avoir gagné votre place dans le paysage musical et, de notre point de vue, c’est franchement “mérité”. Que pensez-vous du monde de la culture en général actuellement ?
Thierry : c’est la merde ! Pour aller vite ! Je trouve que la société est en train de lâcher sa culture, pour des raisons d’argent, qu’on peut entendre, mais en même temps, qu’on ne peut pas entendre. Parce que lâcher sa culture, c’est se lâcher soi-même, c’est se perdre dans l’obscurantisme.
Lili : on oublie que la culture, c’est avant tout un moyen de faire en sorte que les gens se rencontrent, qu’ils partagent des émotions et en retirent de la force, qu’ils aient un peu plus d’ouverture d’esprit, qu’ils aient aussi envie d’apporter aux autres quelque chose, qu’il y ait une forme de générosité dans leur cœur. Pour moi, la culture est là pour ouvrir le cœur des hommes et, bien sûr, leur intelligence. C’est pourquoi les intervenants de la culture sont décisifs aujourd’hui. Malheureusement, les gens semblent aujourd’hui déçus d’aller au spectacle. Peut-être parce qu’on leur a proposé des choses décevantes aussi. Et parce que les budgets sont coupés de 30, 40 %, donc de nombreux spectacles sautent…
Thierry : la culture représente 1 % de nos dépenses et certains hommes politiques ont trouvé utile et intelligent de faire des économies sur ce 1 %. C’est vraiment l’éloge de la stupidité ! Nous, on est des enfants, des purs produits de la culture : on vient de milieux pas forcément favorisés, mais on a eu accès aux Maisons des Jeunes, aux écoles de musique pas chères, à l’école, aux bibliothèques, aux médiathèques, aux salles de spectacle à des prix abordables… Je trouve ça absolument scandaleux que des hommes politiques, par populisme ou manipulation, cherchent à attaquer ces choses-là qui sont un trésor pour nous tous !
MarCel : pour conclure, le mot de la fin ?
Thierry : on va tout péter ! (rires)
Lili : n’oubliez pas à quel point c’est génial d’aller au théâtre, d’aller voir un spectacle… Venez nous voir et pas que nous : allez voir d’autres spectacles ! Le théâtre c’est génial, le cirque c’est génial, les concerts c’est génial… La découverte nourrit notre intelligence ! Avoir envie de voir de nouvelles choses, s’ouvrir l’esprit, c’est devenir plus intelligent et aussi plus fort, pour créer une société où l’on peut vivre mieux !
Thierry : j’ajouterai que, de temps en temps, c’est vrai, on tombe sur un mauvais spectacle, mais… la proportion est inverse par rapport à la télé !
Pour en savoir plus :
- Prolongations parisiennes – dates supplémentaires : 27 et 28 février + 7, 14 et 21 mars au Ciné 13 Théâtre.
- Tournée de mars à juin à suivre sur www.liliplusthierry.com !
Photo de concert : Éric Vernazobre
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CONCOURS
Gagnez des lots de 2 places pour aller voir Lili et Thierry à Paris et à Lyon
MarCel a le plaisir de vous offrir :
- 3 x 2 invitations à Paris, au Ciné 13 Théâtre (1 avenue Junot, 18e, sur la Butte Montmartre) à la date de votre choix :
- 2 le mardi 7 mars,
- 2 le mardi 14 mars,
- 2 le mardi 21 mars.
- 2 invitations à Lyon, à A Thou Bout d’Chant (2 rue de Thou, 1er), le jeudi 13 avril 2017.
Pour tenter votre chance, il suffit de répondre à la question suivante : quel est aujourd’hui l’instrument de prédilection de Lili ?
Envoyez-nous votre réponse à marcel(at)le-monde-en-nous.fr avant le dimanche 5 mars 20h, en précisant bien vos nom et prénom, la ville et la (ou les) date(s) (si vous avez plusieurs diponibilités pour Paris) pour lesquelles vous jouez. Les gagnants seront personnellement avertis par mail dans la soirée de dimanche.
Par respect pour les artistes, merci de ne jouer que si vous pouvez réellement assister au spectacle.
Bonne chance !
CE CONCOURS EST CLOS.
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