Une pièce pas totalement aboutie, mais intrigante, vénéneuse, adaptée d’un roman de Sébastien Japrisot paru en 1963. Voici comment lui-même présentait Piège pour Cendrillon, par la voix de son héroïne : “Mon nom est Michèle Isola. J’ai vingt ans. L’histoire que je raconte est l’histoire d’un meurtre. Je suis l’enquêteur. Je suis le témoin. Je suis la victime. Je suis l’assassin. Je suis les quatre ensemble, mais qui suis-je ?”
Le roman de Sébastien Japrisot est l’un de mes livres cultes depuis quarante ans : je le relis périodiquement, et j’ai vu autrefois le film éponyme d’André Cayatte (1965)… Plus récemment, j’ai découvert que Thierry Jonquet s’en était inspiré pour son roman Mygale (1984), roman que Pedro Almodóvar a adapté au cinéma en 2011 sous le titre La Piel que habito (la Peau que j’habite)…
Aussi, lorsque j’ai vu dans le métro l’affiche qui annonçait la pièce de théâtre, ai-je évidemment voulu découvrir ce nouvel avatar. J’étais d’autant plus curieuse que le roman me semblait absolument inadaptable. Certes, Cayatte s’en était relativement bien tiré, mais il avait bénéficié de tous les artifices du cinéma, d’un budget conséquent, et d’une distribution prestigieuse (Dany Carrel et Madeleine Robinson). Pourtant, il n’avait pas complètement réussi à rendre la noirceur de l’intrigue, ni la complexité des personnages (ce qui me semblait et me semble encore l’écueil principal de l’entreprise), même si dans ce film en noir et blanc on retrouvait bien l’atmosphère des années 60 et notamment sa Riviera italienne fantasmée. Quant à Jonquet et à Almodóvar, leur univers et leur projet n’avaient rien à voir avec ceux de Japrisot.
Car Piège pour Cendrillon, c’est d’abord un conte très cruel, à plusieurs niveaux, qui renvoie à l’enfance, sur les pas de la pantoufle de vair de Cendrillon : dès le premier chapitre, qui commence presque comme une comptine, avec des couplets récurrents, déjà le conte se dérègle, et quelque chose d’angoissant se profile.
Ensuite, l’amnésie de la narratrice, qui n’a plus de repères, fait vaciller les nôtres : il y a donc, d’une part, une belle jeune fille riche et bruyante, roulant dans une voiture de sport sous le soleil brûlant de la Mediterranée, et d’autre part, tapie dans l’ombre, une autre jeune fille sombre porteuse de mort… Mais, en fait, qui est l’une, et qui est l’autre, toutes les deux aussi perdues, en grande demande d’amour et toute imprégnées de haine et d’envie, sous le regard magnétique de la gouvernante Murneau ?
Dans le film de Cayatte, l’astuce avait été de faire jouer Michèle (Mi) et Domenica (Do) par la même comédienne (Dany Carrel), qui, évidemment, incarnait aussi l’amnésique. Volontairement très différentes par leurs gestes, leur phrasé, leur style, au point qu’on avait même parfois l’impression de deux (trois) comédiennes différentes, Mi et Do arrivaient donc bien facilement à se superposer ou à fusionner quand il le fallait.
Rien de tel dans la pièce, où le metteur en scène, Sébastien Azzopardi, a choisi deux jeunes femmes qu’on ne peut confondre : une grande et une petite, une blonde et une brune. Aussi, quand il faudra passer de l’une à l’autre, du passé au présent, d’abord la robe, puis une seule paire de gants assureront la transition. Le dispositif est subtil, mais je ne sais pas s’il est toujours très clair pour qui n’a pas lu le roman ?
Il y a d’autres trouvailles de ce type, assez habiles, notamment au début du spectacle, qui avec une grande économie de moyens restituent bien l’atmosphère inquiétante de la clinique. Il est assez astucieux de la part de l’adaptatrice (Aïda Asgharzadeh), aussi, d’avoir réduit le nombre des personnages secondaires à un seul : l’avocat François, qui jouera à plusieurs reprises le deus ex machina. Tout du long, les quatre comédiens sont irréprochables, et les trois femmes ont une présence physique indéniable, qui réussit à entretenir le trouble. Mais la fin de la pièce, en revanche, me semble un peu ratée, trop abrupte, et sa résolution est peu compréhensible pour un spectateur non averti.
Et surtout, et c’est là ma plus grande frustration, tout le conte (mise en abyme essentielle !), est ici absent, évacué ; Cendrillon et ses chaussures ne jouent plus aucun rôle dans cette histoire… Et puis, la merveilleuse trouvaille de Japrisot a disparu : en effet, dans son roman, la clé de l’énigme nous était donnée juste dans les trois derniers mots de son texte, qui en étaient aussi le titre. Du grand art ! Dommage…
Pour en savoir plus :
- Réservations ouvertes jusqu’au 30 novembre au Théâtre Michel
- À partir de 14 € en catégorie 1 sur Billetreduc
- Site de la Cie Sébastien Azzopardi (Le Tour du monde en 80 jours, Dernier coup de ciseaux, la Dame blanche…)
Je suis une grande fan de Sébastien Japrisot en général et « Piège pour Cendrillon » en particulier… même si j’ai tout oublié depuis le temps que je l’ai lu ! Pour ma part, c’est donc avec des yeux quasiment neufs que je suis allée voir, curieuse et gourmande, cette adaptation.
Sébastien Azzopardi est un peu une « star » du théâtre privé, il a à son actif des pièces diverses, souvent à succès, dans lesquelles il laisse libre court à son appétence pour le théâtre de genre (polar, frissons) et son sens du rythme (et de l’humour). J’avais vu il y a quelques années son « Tour du monde en 80 jours » déjanté, un bon moment.
Même si je le recommanderais à tout amateur de polar, je n’ai quasiment aucun souvenir du roman de Japrisot, si ce n’est des sensations diffuses : malaise, étouffement, « vertige », causés par une intrigue emboîtée qui se dévoile au fil des chapitres aux titres de rengaine entêtante (et d’ailleurs, il me semble qu’il y a un peu de « Vertigo » dans cette adaptation assez cinématographique – tout en restant parfaitement théâtrale). J’ai donc redécouvert l’intrigue au fur et à mesure et tout m’a paru clair et compréhensible au final, même si, et cela est fait exprès, nous sommes parfois un peu embrouillés entre les différentes personnalités potentielles de l’héroïne et les sauts entre les époques. Mais c’est ce tournis qui fait aussi le plaisir de l’histoire.
Globalement, j’ai trouvé la mise en scène très réussie, avec ce décor un peu inquiétant qui sert à tous les lieux, ces lumières (joli jeu de flammes lorsque Mi ouvre, en début de pièce, un porte-document), cette musique avec des accents hermanniens, ces beaux costumes. J’ai trouvé qu’il y avait plein d’idées pertinentes pour passer d’un lieu ou d’une époque à une autre avec aisance et naturel. Aïda Asgharzadeh avait déjà prouvé ce talent dans « Les Vibrants », sur la création de « Cyrano de Bergerac », dont la mise en scène était vraiment chouette, même si la pièce ne m’avait pas totalement enthousiasmée (je reste encore énervée par le personnage de Sarah Bernhardt donnant un rendez-vous « Place Colette » qui, bien sûr, n’existait pas encore à l’époque ! Ça m’avait gâché tout le spectacle…). Ici, toute la mécanique m’a semblé bien huilée et fluide. J’ai pris beaucoup de plaisir. Les trois comédiennes sont très présentes, les deux amies/ennemies particulièrement belles et sensuelles, en mode « Mulholland Drive » de Lynch (la petite scène de triolisme est peut-être un peu longuette, mais rajoute au côté vénéneux dont tu parles, Claudine) – le personnage de François est plus fallot.
Pour les détails, malheureusement, je ne peux pas comparer avec le livre pour l’instant.
Mais je ne doute pas qu’une personne n’ayant jamais lu le livre y trouve son compte quand même.