Applaudissements nourris pour la première française de Sabordage, du Collectif Mensuel, dans une salle bondée d’élèves adolescents qui lui ont fait un triomphe bien mérité. Une fable politique, ouvertement militante, prenant appui sur le destin réel d’une petite île du Pacifique, passant en quelques décennies du rêve au cauchemar… mais où l’espoir est encore permis ? Ludique, enlevée, menée tambour et autres instruments battant, la pièce nous emporte sans temps morts entre réflexion et émotion. Fortement recommandée, même pour les plus jeunes !
Spectacle conseillé à partir de 10 ans
Sur le grand plateau du Théâtre de Malakoff qui accueille pour quelques dates (jusqu’au 17 octobre) Sabordage, plusieurs personnes s’affairent au milieu d’objets et décors disparates : au centre, la maquette d’une île, île qui sera justement au centre de la pièce. Autour, des caméras, mais aussi des instruments : batterie, guitare, accordéon et j’en passe, ainsi que différents objets qui, on va le découvrir très vite, serviront à réaliser la plupart des bruitages en live. Et dans le fond, un grand écran. Les comédiens sont en fait déjà sur scène et ils introduisent l’histoire en pleine lumière.
Il était une fois… une petite île d’Océanie, Nauru, découverte une première fois à la fin du XVIIIe siècle par le navigateur John Fearn, puis redécouverte cent ans plus tard, après qu’un caillou souvenir rapporté par l’explorateur s’avéra être du phosphate.
Une richesse naturelle utile pour fertiliser les sols pauvres australiens, qui intéresse immédiatement les colons qui vont s’empresser d’envahir le lieu et l’exploiter jusqu’à plus soif, relayés, une fois l’indépendance obtenue, par les natifs de l’île eux-mêmes, appâtés par l’argent et la société de consommation. Aussi étrange et caricatural que cela puisse paraître, ce minuscule état a concentré, jusqu’à l’absurde, les « splendeurs » et misères du capitalisme.
C’est cette histoire incroyable et pourtant « croyable » que raconte, avec une fougue et une sincérité réjouissantes, ce collectif liégeois (épaulé à l’écriture par Nicolas Ancion), déjà auteur de plusieurs spectacles à vocation citoyenne – que je n’ai malheureusement jamais vus.
Avec un sens du rythme épatant, les trois comédiens alternent les rôles, les voix, chantent ou jouent d’un instrument, filment et jouent, en interaction avec les images projetées sur l’écran. On ne détaillera pas toutes les astuces de mise en scène vraiment enthousiasmantes, mais ce pseudo-bricolage (pseudo car, au fond, cette inventivité faussement lo-fi nécessite une précision rigoureuse, comme les trucages faits main d’un Ray Harryhausen) convoque aussi bien la manipulation d’objets que le détournement d’images vidéos, le doublage, le bruitage… On en a vraiment plein les yeux et les oreilles – en plus du cerveau.
Tout cela semble parfois parodique, impression renforcée par les faux doublages, par la maquette filmée qui met en relief l’absurdité de la transformation de l’île (construction de mines partout, puis d’une route qui fait le tour de l’île – presque un symbole de la circonvolution du système -, construction d’un… aéroport !…), par la comédie musicale… pourtant tout est vrai. En réinventant l’histoire de façon protéiforme, avec humour et énergie, le collectif se permet de nous faire rire d’un sujet qui n’est pas si drôle. Néanmoins, on reste un peu sans voix à la fin de la première séquence qui retrace très clairement les rouages d’une chute finalement logique.
Et puis, dans la deuxième séquence, celle qui s’attarde sur les conséquences humaines, les corps se figent mais les voix se font plus habitées. Les personnages s’incarnent, soutenus par une très belle musique de fond et des bruitages inspirés. Les « chants », d’abord en solo, trois points de vue, se font chorale pour annoncer, peut-être, l’espoir, en tout cas, la résistance, si ce n’est la révolution.
1h30, c’est court pour embrasser autant de thèmes complexes (colonisation, capitalisme, corruption, société de consommation, gestion des finances publiques, paradis fiscaux, immigrés travaillant pour un salaire de misère, écologie, camps de migrants, activisme, etc.) sans tomber dans le didactisme et/ou la caricature. On n’évite pas toujours le sentiment que certains aspects sont un peu trop rapidement survolés ou expliqués, mais l’ensemble du propos est convaincant. Et, même si c’est sûrement simpliste, on se dit que la course à toujours plus d’argent est insensée (les Nauruans ne connaissaient pas l’argent avant la colonisation !)*
En conclusion, Sabordage est une allégorie très réussie de l’état de notre planète. Nauru est une modélisation micro de ce que nous faisons au quotidien aux quatre coins de la Terre. La lettre finale est un grand, fort et beau moment. Difficile de ne pas vouloir devenir zadiste après ça ! Car, au fond, la Terre est bien une zone à défendre ! Tout comme ce beau spectacle.
Pour en savoir plus :
- Sabordage au Théâtre 71 de Malakoff (92) jusqu’au 17 octobre 2019
- Tarif réduit (10,95€) sur billetreduc
- Toutes les dates de la tournée : sur le site officiel du Collectif Mensuel (en France : Valence, Vénissieux, Annecy, Châlons-en-Champagne, Amiens)
Annexe :
*Une idée qui avait déjà été résumée par un autre Belge, Peyo (avec l’aide d’Yvan Delporte), dans un strip qui m’a marquée depuis que je suis enfant :