Deux dates encore – jusqu’au 29 juillet – pour courir voir Contre-temps au Théâtre des Corps Saints à Avignon, à 15h30. Amatrice de spectacles musicaux, j’étais à la recherche d’une pièce où la musique et les chansons tiennent une place importante. Cette biographie érudite et pétillante d’un compositeur injustement oublié du XXe siècle a comblé toutes mes attentes. De Paris à Broadway, de l’opérette au jazz, les trois artistes sur scène lui rendent hommage avec un sens du récit et du swing phénoménal. On ne décroche pas une seconde, jusqu’au final génial.
Si l’histoire a oublié François Courdot comme tant d’autres qui n’ont pas les honneurs de la postérité, Dieu merci, le théâtre est là pour exhumer les destins méconnus. Il faut croire que le travail éclectique de ce compositeur et chef d’orchestre français était trop avant-gardiste pour que le grand public ne retînt ne serait-ce qu’un titre de l’une de ses nombreuses œuvres ! Pourtant, vous serez surpris de découvrir son influence et ce que l’une des plus célèbres comédies musicales de Broadway lui doit…
Comme le racontent les deux narratrices / chanteuses, le talent singulier de François Courdot a très vite été reconnu par ses pairs : élève de Nadia Boulanger à Fontainebleau, Prix de Rome à un jeune âge, avant que la Seconde Guerre Mondiale ne le contraigne à émigrer aux États-Unis où il devient chef d’orchestre spécialiste des opérettes françaises, François semblait avoir coché toutes les cases d’un succès tout tracé. Un drame personnel et la découverte concomitante du jazz dans les tripots new yorkais va réorienter son destin, lui qui cherche un sens à son art.
Le parcours romanesque de l’artiste est illustré par de nombreux extraits de morceaux chantés par Marion Préïté et Marion Rybaka, seules ou en duo, et accompagnés au piano par Raphaël Bancou qui signe également les arrangements. Entre deux anecdotes sur les rencontres mythiques et la vie amoureuse compliquée de Courdot, devenu Frank River (sic) dans les night clubs, nous avons droit à des explications de musicologie passionnantes. Raphaël Bancou intervient de temps à autres pour analyser la construction d’un morceau de jeunesse et même sans être fan de solfège, on ne peut être qu’impressionné par l’audace et la créativité du compositeur à l’époque.
L’air de rien, le spectacle, presque trop court, couvre un demi siècle de répertoire musical très large : de l’opérette aux paroles et airs légers (avec parfois un peu de moquerie affectueuse) – Offenbach, Messager… – au jazz échevelé (le piano bascule sur les côtés pour un effet renversant) – Cole Porter, Bernstein… -, en passant par la musique « savante » ou novatrice. Car nous avons aussi le grand plaisir de découvrir des extraits d’une œuvre inachevée de Courdot : Køld, aux harmonies compliquées et thématiques torturées.
Dans une mise en scène minimaliste de Samuel Sené (2 bancs et rien de plus), sur des textes d’Éric Chantelauze, les trois interprètes font revivre avec fougue et talent une personnalité atypique. Les filles ont de très belles voix (sopranos et queens of swing à la fois), le pianiste s’éclate sur son instrument qui devient aussi percussion (on regrettera un peu la sonorité étouffée du piano, mais c’est un détail).
Tout comme François / Frank qui était à contre-temps, ce spectacle « tiré au Courdot » ne rentre pas dans les cases et c’est exactement ce qui le rend jouissif. C’est original et intelligent, drôle et émouvant. En réconciliant différents genres a priori opposés (musique classique / musique expérimentale / musique populaire ; pièce de théâtre / conférence / concert), avec un mélange étonnant de virtuosité et simplicité, Contre-temps est avant tout un hommage enflammé aux artistes, à la joie d’imaginer et de créer, et au plaisir de raconter des histoires.
Chapeau l(es) artiste(s) !
Pour en savoir plus :
- Infos et réservations : vendredi 28 et samedi 29 juillet, 15h30 Théâtre des Corps Saints
- Trio Opaline