28 mars 2024

Le monde en nous rencontre… Alex Taylor

Il y a quelques jours, alors que le soleil brillait enfin sur Paris, MarCel a eu la chance de rencontrer Alex Taylor, journaliste britannique qui fait le plaisir des oreilles françaises en animant tous les matins de la semaine sur France Inter une pétillante revue de presse européenne. Alex est également auteur de Bouche bée, toute ouïe (JC Lattès, 2010) et de Quand as-tu vu ton père pour la dernière fois ? (JC Lattès 2014). Nous avions envie qu’il nous raconte son histoire, son métier, son attachement à la France, son amour des langues. Les quelques lignes qui suivent en disent juste assez pour nous (et vous) donner envie d’en savoir encore plus.

MarCel : bonjour Alex, vous être installé en France depuis plusieurs années maintenant. Pourquoi ce choix ?

Alex Taylor : je suis installé en France depuis 33 ans. J’adorais les langues à l’école. A Oxford, il fallait étudier deux langues, j’ai donc choisi le français et l’allemand ; et puis il fallait passer une année à l’étranger, et on m’a fortement conseillé d’aller en France car mon français n’était pas au niveau de mon allemand. Je suis arrivé à un moment un peu charnière dans l’histoire de votre pays : en 1981 avec Mitterrand. J’ai commencé ma carrière sur Fréquence Gay, la première radio gay au monde à être sponsorisée par un gouvernement. Au même moment, Thatcher prenait le pouvoir en Grande-Bretagne. J’avais une vingtaine d’années et j’étais un peu horrifié, surtout au niveau personnel : pour les gays, c’était le jour et la nuit ! Mme Thatcher instaurait la clause 28, qui ressemble beaucoup à ce que fait Poutine aujourd’hui, c’est-à-dire l’interdiction de la promotion de l’homosexualité en public. A ce sujet, la France et la Grande-Bretagne ont fait des chemins inverses. En France, il y a aujourd’hui 500 000 personnes qui descendent dans la rue contre le mariage gay, alors que dans mon pays, le gouvernement de Cameron, successeur de Mme Thatcher, a introduit le mariage gay sans qu’une seule personne ne manifeste… c’est assez intéressant. Donc, j’ai passé mes 20 ans à Paris. Paris bougeait plus, au début des années 80. En fait, chaque ville a un moment de buzz. J’ai eu la chance de connaître trois villes dans ce cas : le Paris des années 80, c’était vraiment l’endroit où être, un phare de liberté ; Londres, j’y étais assez souvent dans les années 90 ; et j’ai connu Berlin dans les années 2000. Le buzz de Berlin s’est terminé officiellement la semaine dernière, avec un reportage dans le Berliner Zeitung indiquant que Berlin n’est plus cool !

MarCel : être venu en France, c’était à la fois un choix professionnel et…

Alex Taylor : pas du tout professionnel, que personnel !

MarCel : vous parlez allemand, français, anglais…

Alex Taylor : anglais, allemand, français couramment. J’ai appris le français et l’allemand dans des livres, je ne les ai pas acquises de façon maternelle. Et je lis l’espagnol, l’italien et le néerlandais.

MarCel : y-a-t-il d’autres langues qui vous intéressent, peut-être des langues asiatiques qui sont très à la mode ?

Alex Taylor : non pas du tout. Je suis très européen. J’ai toujours fait ma carrière en faisant des émissions sur l’Europe, c’est ce que je fais maintenant puisque je fais la revue de presse européenne sur France Inter. J’ai essayé une fois le Russe, le Norvégien… c’est très compliqué… Et puis j’ai 56 ans ! C’est beaucoup plus difficile d’apprendre les langues. Je le dis dans mon livre Bouche bée, toute ouïe, le cerveau humain est façonné de telle sorte qu’on ne peut apprendre une langue de façon maternelle que jusqu’à l’âge de 11-12 ans. Après c’est impossible. La preuve, je suis là depuis 30 ans mais j’ai toujours un accent !

MarCel : d’où vient cette attirance pour les différentes langues et donc les différentes cultures ?

Alex Taylor : c’est très simple. Je crois que le petit garçon que j’étais savait qu’il était différent, mais dans un pays où il n’y avait pas de mot pour l’homosexualité. Le mot « gay » est apparu en 76, quand j’avais 20 ans. Il n’y avait pas de mot positif pour ça. Il n’y avait personne à qui je pouvais en parler. A l’âge de 7 ans, je comprenais que j’étais attiré par les garçons. J’ai entendu le mot « homosexuel » à la télévision et j’ai demandé ce que ça voulait dire. Face aux explications pour le moins farfelues qu’on m’a données, je me suis dit « Dieu merci, je n’en fais pas partie » ! J’ai compris en écrivant mon premier livre que les langues étaient pour ce petit garçon un passeport, une issue de secours, pour sortir d’un monde qui ne le comprenait pas… Et puis il y a des trucs plus kitsch certes comme le concours Eurovision de la chanson. Dans les années 60, dans un monde en noir et blanc, voir chanter des gens dans une langue étrangère, c’était fascinant, extraordinaire ! J’ai eu beaucoup de chance, quand je suis arrivé en France en 1981, ça coïncidait avec cette vague rose. Tout à coup je me suis dit : « enfin, je peux être qui je suis ! ». Dans mon pays d’accueil donc, Robert Badinter, le Ministre de la Justice en 1981, a dit devant l’Assemblée Nationale : « il est grand temps que ce pays reconnaisse ce qu’il doit aux homosexuels ». C’était il y a 33 ans ! C’était incroyable !

MarCel : vous avez parlé tout à l’heure de votre revue de presse sur France Inter. Comment la préparez-vous ?

Alex Taylor : je le faisais déjà dans les années 90 mais à l’époque, c’était un autre exercice. Je passais à 8h40, j’avais 6 minutes. Je prenais le temps que je voulais. J’ai fait ça pendant 5 ans. Maintenant, c’est complètement différent. Je suis dans la première matinale, qui est très rythmée. J’interviens dans le dernier quart d’heure de l’émission, là où il y a un pic d’audience car les gens se réveillent. Je suis entouré d’une chronique politique, de nos partenaires du Point et de l’Express, écrite toujours la veille, et d’une chronique drôle de Charline Vanhoenacker qu’elle écrit toujours la veille aussi. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, on apprend le matin-même quelles sont les pubs, quelles sont les contraintes de temps en fonction du journal. Donc comme je suis l’élément le plus flexible du matin, car j’écris tout forcément le matin même, je reçois un mail vers 4h qui me dit si j’ai 2 minutes 30 ou 4 minutes 30, par exemple. Je suis obligé de faire avec. En général j’ai 3 minutes – 3 minutes 30. Pour rendre compte du contenu de 50 journaux en 3 minutes 30, il faut éliminer beaucoup de choses ! Et puis, il faut du sérieux et du léger. Si vous voulez que les gens écoutent une revue de presse européenne, surtout à cette heure-ci, il faut des choses drôles… en plus j’adore ça ! Mais impossible de ne pas parler de l’Ukraine par exemple. Donc je fais ce que je peux. Dans les années 90, je lisais vraiment les journaux et c’était des journaux papier. Maintenant, je travaille autrement. Je passe 1h30 à lire 50 journaux : les allemands d’abord, ensuite les britanniques, les espagnols, les italiens… puis des choses plus « exotiques » : les grecs, les portugais… Je passe en général 2-3 minutes par journal. Et sur les sites Internet, je remarque ce qui est dans l’éditorial, ce qui fait la Une, s’il y a des choses marrantes ou étonnantes qui vont faire la Une en France. Quand j’ai tout lu, je prends 5 minutes pour décider de ce dont je vais parler et je commence à lire les articles à fond qui parlent du sujet retenu et je me donne une heure pour écrire. Ensuite je fonce à la Maison de la Radio, je fais une dernière relecture, je change et vérifie des dernières petites choses.

MarCel : vous travaillez seul, sans équipe ?

Alex Taylor : seul oui. D’abord, c’est une question de moyens, moyens que Radio France n’a absolument pas ! Je fais ça parce que j’adore le faire, c’est la seule raison. Deuxièmement, c’est une question de temps, on n’en a pas. Et troisièmement, l’argument principal, c’est qu’une revue de presse est un choix. Deux personnes lisant les mêmes journaux vont sortir deux revues de presse complètement différentes, et c’est parfait comme ça ! Ivan Levaï, avec qui j’ai appris, met de la passion pour faire sa revue de presse. C’est ce que les gens veulent écouter. Ils ne veulent pas qu’il lise tout simplement les Unes ! Ils veulent de la passion, surtout que l’Europe n’intéresse pas grand monde…

MarCel : d’ailleurs, vous êtes la seule revue de presse Europe du paysage radiophonique…

Alex Taylor : je l’ai faite un peu mienne. C’est encore une fois Ivan Levaï, qui était chef de l’information à France Inter, qui m’a offert la première opportunité. Je suis allé le voir, je lui ai proposé une revue de presse en 94-95, après avoir frappé à des portes pendant 10 ans… A l’époque, j’ai passé 6 mois à batailler avec les services du Premier ministre parce que le Premier ministre avait les journaux européens avant moi. Je les ai appelés en leur demandant : « le Premier ministre lit vraiment le Frankfurter Allgemeine Zeitung à 6h20 du matin ? Sinon, je veux bien qu’on me livre tous les journaux avant lui, parce que pour moi chaque minute compte ! ». J’ai eu gain de cause au bout de 6 mois ce qui m’a donné vingt minutes supplémentaires pour tout lire, c’était énorme ! J’ai passé ma vie à frapper à des portes, mais les gens disent toujours la même chose : « l’Europe n’intéresse personne ». Eh oui, c’est le cas dans les médias ! Mais je ne me plains pas, j’ai pu faire, dans les années 90, une émission géniale qui s’appelait Continentales sur FR3. J’adorais faire ça, j’étais le producteur, le présentateur, j’avais une équipe efficace et sympathique. Aujourd’hui, je ne fais plus de télé parce qu’on me demande de jouer l’Anglais de service, ce qui ne m’intéresse pas du tout ! J’ai passé ma vie à essayer de parler de l’Europe et de casser les stéréotypes ! Mais j’adore me lever tous les matins pour lire la presse européenne, ça m’amuse, sinon je ne le ferais pas. En revanche je gagne ma vie en faisant de l’événementiel : j’ai animé plus de 800 conventions. Les deux ensemble, ça me va très bien !

MarCel : selon vous, pourquoi le sujet « Europe » est-il si difficile à traiter en France ?

Alex Taylor : pas qu’en France, partout. Les Français sont euro-indifférents, les Britanniques sont euro-hostiles… je ne sais pas ce qui est le mieux. La presse britannique est xénophobe contre l’Europe ! Ce matin, le Sunday Express titrait sur le fait que les eurocrates de Bruxelles allaient maintenant venir dans nos jardins pour déterrer des plantes interdites. C’était ça la Une, et pas l’Ukraine. Tout ce qu’il y avait sur les Bulgares et les Roumains qui viennent nous piquer notre travail… mon père a eu Alzheimer, heureusement qu’il y avait des Polonaises qui s’occupaient de lui pendant les derniers mois ! Pour votre génération, je pense que ça va être un peu mieux parce que il y a plein de gens qui partent en Erasmus, tombent amoureux de gens d’autres pays, vont vivre dans d’autres pays. Ils ont une vision un peu plus affective… Notre génération a été beaucoup marquée par la guerre et par la reconstruction de l’Europe. Moi l’affectif m’a permis… – je  n’ai jamais dit ça ! Je suis en train de me rendre compte de quelque chose ! – …l’affectif m’a permis de vivre ma vie pleinement en Europe, c’est pour ça que j’adore tout ce qui est européen, parce que ça m’a libéré. Je crois qu’il faut attendre un changement de génération avant que l’Europe commence à intéresser les gens.

MarCel : vous préparez quelque chose de particulier pour les élections européennes ?

Alex Taylor : non. Et je vais vous raconter une anecdote. Quand je faisais ma revue de presse dans les années 90, c’était avec une autre équipe, le rédacteur en chef m’a appelé la veille pour les élections européennes en me disant : « Alex, nous faisons une émission spéciale pour les élections européennes demain, tu peux rester au lit, on supprime les chroniques aujourd’hui ». Je lui ai dit : « mais je fais la revue de presse européenne, on ne va parler que de ça !!!! » Il m’a répondu : « ce que les gens veulent entendre, c’est les réactions des politiques français, tu viendras demain faire ta revue de presse européenne », et face à cette attitude, j’ai arrêté. Cette année, j’ai bien l’intention d’y aller le jour des élections européennes, sinon, ils vont m’entendre !

MarCel : vous votez en France ?

Alex Taylor : non, je n’ai pas le droit de vote. Quand on n’habite plus en Grande Bretagne, on perd le droit de vote. Je suis « disenfranchised ». Et je n’ai pas le droit de vote ici parce que je ne suis pas français. J’ai même lancé une campagne avec d’autres personnes pour que l’on puisse avoir le droit de vote dans le pays où nous vivons, mais il n’y avait pas assez de signatures pour que ça devienne une initiative citoyenne. Je peux voter dans les élections européennes et dans les municipales. En même temps, j’ai une attitude très anglo-saxonne vis-à-vis de ça. En tant que journaliste, je ne trouve pas ça sain que l’on puisse voter, parce que je ne sais pas si je suis de gauche ou de droite…

MarCel : merci Alex.

Pour en savoir plus :

3 réflexions sur « Le monde en nous rencontre… Alex Taylor »

  1. Une chance d’autant plus grande que j’étais « amoureuse » de lui quand j’étais plus jeune et que je regardais « Continentales » le matin en vacances hihihi ! 😉

  2. Entre Alex et Charline, le dernier quart d’heure du 5/7 de France inter c’est une bonne raison pour ouvrir les yeux… merci à eux et à vous pour cet entretien

  3. Très intéressant, mais j’aurais aimé qu’il parle un peu plus de lui et de son dernier livre. On reste un peu sur sa faim…

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