A l’occasion du Salon du livre de Paris, qui s’est tenu à la Porte de Versailles du 18 au 24 mars dernier, nous avons eu l’immense chance de rencontrer un auteur discret mais dont les textes subtils et intenses nous racontent si bien l’étrange complexité des rapports humains. Son dernier ouvrage, L’Amour sans le faire (Flammarion/Gallimard, 2012), avait bouleversé Marie. Le prochain sortira dans quelques mois. L’impatience nous guette…
MarCel : pouvez-vous nous raconter la genèse de L’Amour sans le faire ?
Serge Joncour : c’est parti d’une histoire personnelle. Ces personnages sont assez proches de mon histoire, une histoire que j’ai un peu dénaturée. Ce qui m’importe beaucoup c’est l’environnement, le décor, le cadre. Il m’est familier. C’est un personnage qui est dans mes âges, même si j’ai essayé de travestir un peu le réel. Ce n’est pas de l’auto-fiction, ce n’est pas du récit. C’est comme se mettre soi dans la peau à peine différente d’un personnage. D’ailleurs, c’est un peu ce que Baudelaire reprochait au roman, c’est-à-dire trop de délayage. Moi, délayer, c’est ce que j’aime… des bouts de moi, des bouts d’untel. Personne ne peut vraiment se reconnaître, mais en même temps tout le monde y est.
MarCel : écrire un ouvrage comme celui-là, ça se fait comment ? Ca vous prend combien de temps ?
Serge Joncour : 2-3 ans. Mais je ne fais que ça moi, je n’ai pas d’autre métier. Je n’écris pas forcément tous les jours, mais ça m’arrive parfois. C’est comme une vie parallèle. Pour le roman que je suis en train d’écrire, je sais que mon personnage est resté dans la forêt, j’y pense et je me dis : « tiens, est-ce qu’il va s’en sortir ? Est-ce qu’il va se faire agresser ? » Un roman, pour moi, c’est une vie parallèle, avec la différence que sur celle-là, je peux plus facilement intervenir.
MarCel : l’écriture a toujours été votre activité principale ?
Serge Joncour : j’ai toujours pensé écrire. J’ai toujours voulu écrire. Ca a été long. C’est Le Dilettante qui m’a publié en premier. Avant, j’écrivais mais je n’arrivais pas à être publié, et en même temps je n’arrivais pas à faire de vrais romans. Ca a été long à venir. Ce que je faisais ne méritait pas d’être publié, mais je ne m’en rendais pas compte. Là, il y a du progrès. Je ne pas si c’est le cas de tout le monde… il y en a qui sortent un premier texte éblouissant et puis après plus rien.
MarCel : vous pouvez nous parler du livre que vous êtes en train de terminer ou c’est encore secret ?
Serge Joncour : non ce n’est pas secret. C’est secret tant que je le fomente chez moi et que je n’en parle à personne. Mais là, j’envoie le manuscrit ce soir. Je l’ai réécrit 50 fois, maladivement. A chaque fois que je le relis, il y a quelque chose. Le problème, c’est les phrases trop jolies par exemple.
MarCel : qu’est-ce que c’est une phrase trop jolie ?!
Serge Joncour : c’est une phrase dont on voit que je me suis fait plaisir à l’écrire, quand je suis arrivé à décrire un décor… Alors ce roman, celui que je suis en train de finir, est long. Il fait plus de 450 pages. Il y a une intrigue, et une intrigue, il faut bien la verrouiller. C’est l’histoire d’un auteur, d’un type qui me ressemble un peu. Il est en résidence d’auteur. Tout se passe très bien au début, et puis il y a un fait divers qui a lieu juste à côté dans la forêt. Un jeune couple est suspecté d’avoir fait disparaître un vieux retraité un peu argenté. Donc, l’auteur va s’approcher comme ça, par curiosité, et puis de plus en plus près, jusqu’à se retrouver complètement compromis. Ca vire un peu au cauchemar. Et en même temps, ça pose aussi la question de ce que ça signifie pour un auteur de s’inspirer d’un fait divers. Moi, comme j’ai un problème avec les auteurs qui s’intéressent trop vite à un fait divers sans attendre d’avoir assez de recul… c’est une façon de piéger, de compromettre symboliquement l’auteur et de lui faire payer cher. Pour le coup, jusqu’à la dernière page, c’est vraiment une intrigue. Est-ce que c’est eux ? Est-ce que l’auteur est responsable ? Et cela est d’autant plus délicat à faire que c’est à la première personne. Le personnage avance en même temps que le lecteur.
MarCel : depuis combien de temps travaillez-vous sur ce roman ?
Serge Joncour : depuis la sortie de L’Amour sans le faire. L’idée de l’auteur qui s’approche trop près d’un fait divers, je l’avais depuis une dizaine d’années, mais en même temps, c’était abstrait. Ce qui serait intéressant aussi, ce serait l’histoire d’un auteur qui s’intéresse à un fait divers et qui est piégé dedans. Mais je ne savais pas où, je ne savais pas comment, je n’avais pas trouvé la couleur… Et en sortant de L’Amour sans le faire, je me suis trouvé dans cette situation parce que j’allais souvent en région. Et donc, souvent, j’étais dans la situation de l’auteur telle que je l’écris, et ça a nourri complètement l’anecdote. Ce qui est intéressant aussi, c’est de voir les anecdotes, les rencontres avec les lecteurs. Ca se passe toujours bien en général, mais parfois… je me souviens d’une rencontre qui ne s’était pas très bien passée pour moi et ça a viré au tribunal. Il y a des gens qui ont envie de poser des questions à un auteur qu’ils respectent, et il y a des gens qui ont envie de se payer sa peau. Moi je m’en amuse à chaque fois, et j’essaie toujours, avec humour, de désamorcer. C’est ce que fait mon personnage. C’est comme de la réalité augmentée. C’est un livre qui s’est écrit… je ne sais pas si on peut dire facilement, mais il se nourrissait de ce que je vivais… c’est très étrange… comme avec une sorte de facilité. Peut-être qu’on la retrouvera à la lecture. Je l’ai écrit en voyageant pas mal en France, en étant un peu fatigué, C’est pas mal d’écrire en étant un peu… somnolant… quand on est fatigué, il y a un moment où le corps se pose et l’esprit s’évade. Donc il s’est écrit assez vite. Je l’ai commencé en septembre 2012, et là on est en mars. Et il sort en septembre. Ca y est, le processus de création du livre est engagé. On fait des recherches pour la couverture et il s’appellera L’écrivain national. C’est la façon dont on le présente au début, avec un mélange d’ironie et de… parfois il y a des maires qui vous invitent et qui n’en ont pas vraiment envie. Ils préfèreraient un footballeur mais il faut faire plaisir aux maîtres d’école. Ce sera le prochain.
MarCel : vous allez souvent à la rencontre du public ?
Serge Joncour : oui. Pour L’Amour sans le faire, j’ai dû faire une cinquantaine de rencontres ou dédicaces. J’aime ça parce que j’aime prendre le train. J’ai la chance de découvrir chaque jour une ville, un village, une région. Je ne connaissais pas bien le Jura, et j’ai découvert des décors qui m’ont servi, comme un restaurant dans la forêt. Je ne savais pas que ça existait encore. Pour le reste, moi je suis un peu solitaire, donc, il y a des moments où ça fait du bien. Déjà de voir que tout ça est vrai, que le livre est vraiment sorti. C’est toujours un peu surprenant. Quand je suis en train d’écrire chez moi, dans ce quartier où tout est très calme… J’essaie donc de faire un livre dont l’une des ambitions est de rencontrer du monde. C’est un peu paradoxal. Pour être sûr qu’il y a vraiment des lecteurs, car rien ne le prouve, en dehors de l’éditeur qui fait parfois un peu la gueule… c’est vrai que c’est parfois un peu abstrait… c’est comme les sites, les blogs… la lecture de l’autre soulève parfois des angles qu’on n’avait pas prémédités. Donc ça aide aussi. Et puis, un des projets des librairies, c’est aussi de les faire vivre, d’en faire des lieux animés. Je vois des librairies qui font des rencontres. Il y a des villages où il n’y a rien, même pas un café. Alors, il y a une petite bibliothèque qui rassemble le soir à peu près 30 personnes. C’est un événement entre guillemets. Ca crée du lien, et pas que pour l’auteur. C’est un désir depuis le début d’être actif, presque militant. Le livre c’est encore un objet concret, réel, et l’auteur c’est quelqu’un d’accessible. Souvent, quand on va dans les lycées, les élèves sont étonnés qu’un auteur soit vivant, que ce ne soit pas chiant, qu’il ne soit pas un donneur de leçon. Mais ce n’est pas quelqu’un d’écrasant un auteur. A partir de là, ça désinhibe.
MarCel : vous allez dans les écoles ?
Serge Joncour : oui bien sûr. La semaine prochaine, je vais à Montpellier. Je n’ai pas de discours tout fait, j’improvise. Ca dépend beaucoup des élèves. J’ai vu des élèves en lycée hôtelier, qui sont à mon avis les plus passionnés, les plus curieux. Ils veulent être cuisiniers, mais si on leur présente un écrivain, ils vont lire les livres et poser plein de questions. Sinon, parfois, la difficulté c’est d’arriver à être écouté. S’ils en ont rien à foutre… je parle plus de mon parcours, du fait de ne pas avoir réussi complètement ses études. Je leur dis que ça n’empêche pas à un moment d’arriver à réaliser quelque chose. J’ai fait un recueil qui s’appelle Combien de fois je t’aime. C’est des textes parfois un peu érotiques mais pas trop. Je suis allé dans des classes de lycée. Moi, je disais que c’était une sorte de panorama de l’amour moderne. Et une jeune fille m’a posé une question : « si vous parlez de l’amour moderne, pourquoi il n’y a pas un couple homosexuel ? », et ne j’y avais jamais pensé. Il y a toujours un moment où la spontanéité désarme complètement. C’est une mise en situation qui est intéressante. Après, je ne me rappelle pas comment je m’en suis sorti, mais ça m’a marqué !
MarCel : vous avez l’impression que l’objet livre est moins utilisé ?
Serge Joncour : oui mais c’est moins dramatique que ce que l’on craignait. Regardez, là on est au salon du livre et il y a du monde. Ca reste un objet à la fois primitif et extraordinaire. Je crois qu’il y en aura toujours besoin. Là, il y a plein de stands de jeunesse, avec des livres incroyables, que je n’avais pas moi à mon époque, et qui donnent envie. Quand le contact est établi avec le livre, ça reste. Tout le monde ne lira pas… c’est pour ça que j’aime aussi le cinéma. Moi, j’ai fait 3 adaptations… c’est comme un prolongement à l’histoire, au roman, et ça peut permettre parfois de réorienter vers le livre. Ca n’arrive pas souvent… Mais sur le livre lui-même… je suis dans le mauvais endroit pour être pessimiste ! En plus, aujourd’hui, on passe des heures sur écran et par moments ça repose d’avoir un support à lire qui soit un peu différent. Le livre nous sort de l’écran. De toute façon, le propos c’est de faire des livres qui donnent envie. Moi j’ai envie de faire des livres qui aillent chercher le lecteur. Il y a un moment, on entend parler d’un livre et simplement par le titre ou ce que l’on a compris de l’intrigue, ça donne envie. Il y a parfois un discours ambiant qui tend à dire que la production contemporaine n’est pas belle, mais ce n’est pas possible de dire ça. Il y a tellement de livres, tellement de registres… rien qu’à cette rentrée de janvier, il y a des univers, des thématiques, des projets tellement différents.
MarCel : parmi les auteurs contemporains, il y en a certains qui attirent plus votre attention ?
Serge Joncour : moi je résonne plus en termes de livres. C’est pas si fréquent les auteurs qui sont constants. Maylis de Kérangal, que je connaissais bien, qui faisait des livres un peu dans la confidentialité, elle a étoffé ses propos. Aujourd’hui, elle a un public très large, et là je suis admiratif. Et puis, à chaque fois, elle est dans des projets différents. C’est vraiment très culotté ce qu’elle fait. J’aime aussi beaucoup David Foenkinos. Lui aussi a fait des registres différents. J’ai lu récemment Antoine Laurain, ça s’appelle La femme au carnet rouge, ça vient de sortir. C’est très étonnant. C’est presque un livre où on se dit : « tiens, j’aurais eu envie de le faire ». Il y a aussi un écrivain espagnol, José-Angel Mañas, qui a écrit Je suis un écrivain frustré, et ça c’est un roman qui m’a beaucoup marqué. Il y a toujours un livre qui est une source d’étonnement comme ça. Tatiana de Rosnay, j’ai écrit le scénario de son livre Elle s’appelait Sarah, qui était un livre dont l’intrigue et le schéma de suspense étaient incroyables, vertigineux, et très différents de ce qu’elle avait fait avant. Je me sens assez prochain de Karine Tuil. Dans ses livres, il y a une sorte d’humour. Moi, j’écris des textes un peu humoristiques comme L’idole… je pourrais en trouver 50 ! Après, parfois, ça fait du bien de lire un livre un peu médiocre, parce que ça rassure !
MarCel : que pourriez-vous dire à ceux qui ne connaissent pas vos ouvrages pour piquer leur curiosité, leur donner envie de vous lire ?
Serge Joncour : souvent il fait chaud dans mes livres. Je suis attentif à la météo… Ah non ! Dans le prochain il fait froid ! Que dire ? Sinon que j’ai exploré des registres qui étaient assez humoristiques et drôles, et en même temps humains. Je propose de rencontrer des personnages. Et j’ai le sentiment d’avoir vécu non pas plusieurs vies mais plusieurs mondes. J’ai expérimenté tellement de façons d’être au monde que ça me permet peut-être aujourd’hui de traduire, de faire ressortir des personnages. J’offre une sorte d’humanité. Quand je lis, j’aime bien m’arrêter sur des phrases qui sont telles qu’elles font image. C’est comme mettre une photo sous le nez. J’essaie de travailler ça. Je n’ai pas envie d’une écriture blanche. J’ai envie que chaque phrase ait une bonne raison d’être là.
Photo © David Ignaszewski, 2012
Pour en savoir plus :
- Page Facebook / Twitter de Serge Joncour
- Site des Editions Le Dilettante
- Site des Editions Gallimard
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- La chronique de Marie sur L’Amour sans le faire