Dans la famille Boitel, après le jeune Camille qui élevait, dans L’Immédiat, la chute et les catastrophes en série au rang de l’art, nous demandons Raphaëlle. Raphaëlle Boitel présente actuellement (jusqu’au 12 juillet, vite vite !) à la Grande Halle de la Villette son premier spectacle, tout en apesanteur (mais non pas léger) et intériorité : L’Oublié(e), entre rêve et cauchemar, cocasserie et nostalgie… Une oeuvre forte qui imprime les mémoires.
Son nom est encore inconnu du grand public mais ne devrait pas tarder à sortir de l’ombre dans laquelle évolue une bonne partie de son premier spectacle, L’Oubliée. Raphaëlle Boitel, jeune circassienne, a entre autres fait ses armes chez Annie Fratellini, a travaillé avec Aurélien Bory, mais aussi et surtout James Thierrée qui, proclame l’affiche, l’a découverte. Elle a en effet habité de sa grâce juvénile (elle avait 13 ans !) La Symphonie du Hanneton et la Veillée des Abysses deux œuvres dont l’inventivité, la poésie et la puissance visuelle ont émerveillé les spectateurs de par le monde. Raphaëlle Boitel a-t-elle besoin de ce parrainage prestigieux mais un poil écrasant pour émerger ?
Si l’on retrouve l’empreinte de James Thierrée dans certains tableaux et notamment dans sa manière de mélanger naturellement cirque (acrobaties, contorsions), théâtre, danse, chant, et même langage cinématographique, L’Oublié(e) a sans conteste sa propre personnalité. Raphaëlle Boitel nous y parle, avec sensibilité, de la perte, du deuil, dans un conte mystérieux où dominent le noir et le blanc.
Un homme meurt. En ombres chinoises, des personnages tentent de le ranimer. En vain. La femme décide d’aller le chercher. De cette quête découle une série de visions qui, sans faire toujours sens, font grande impression.
Personnellement, après avoir suivi poliment le début de l’histoire qui ne me paraissait, dans la forme, guère originale, c’est avec un intérêt grandissant que j’ai vu s’enchaîner et se déployer les différentes scènes, dont l’intensité va croissant. Le burlesque un peu déjà vu du début laisse peu à peu place à une poésie de la mélancolie, jusqu’à un final de toute beauté. Ainsi, cette scène, un peu longuette, mais techniquement bluffante, de jeux de miroirs, qui m’a forcément évoqué Lewis Carroll – évidemment, le thème de L’Oublié(e) étant le passage « de l’autre côté ». Ainsi, ce tableau « stroboscopique » où les deux personnages féminins très similaires sont tour à tour éclairés de part et d’autres de la scène, par un cadre de lumière actionné manuellement (bravo la synchronisation), qui rappelle les débuts balbutiants du cinéma. Ainsi, cette scène (autobiographique ?) – seule scène un peu colorée, dans des tons chauds, sépia comme le souvenir ? – où, lors d’un repas visiblement familial, le père s’écroule pour ne plus se relever. Le rire finit par former une boule dans la gorge tandis que la danseuse s’élève dans les airs, emportant avec elle la table… Les passages aériens sont d’ailleurs dans l’ensemble très beaux (et donnent envie de s’envoler). Autant de tableaux très réussis qui nous captivent, jusqu’aux dernières scènes, tout simplement sublimes : un duo homme/femme d’une grande sensualité et, dans une ambiance orageuse et ténébreuse, trois femmes en deuil tournant sans fin comme des derviches au milieu de feuilles mortes volant dans l’air, jusqu’à ce que tombe la gaze noire qui voilait, sans que l’on s’en rende compte, la scène, et donnait cette atmosphère obscure. J’ai été transportée.
Alors qu’importe si l’écriture, la ligne directrice de l’ensemble manquent un peu de solidité. J’ai accepté, de bon gré, de me perdre et j’ai été plus troublée par l’univers de Raphaëlle que celui de Camille. Si vous êtes sensibles aux images, à la lumière, au son (très beau travail sur ces trois aspects), vous ne pourrez être que touchés par la beauté formelle indéniable de cette première création. Qui, je l’espère, est la première d’un beau parcours.
Pour en savoir plus :
- Réservations Grande Halle de la Villette