29 mars 2024

Le saisissant « Delusion Club » du Cirque des Mirages

Par une nuit qu’on imagine froide et brumeuse, au fond d’une ruelle forcément mal éclairée où vos pas vous ont conduit·e, comme mus par une volonté qui leur est propre, vous poussez un peu par hasard une porte mystérieuse d’où s’échappent des sons singuliers. Notes de piano égrenées comme autant de gouttes de poison, voix grave, suave, vénéneuse, clair obscur inquiétant. L’atmosphère est étrange. Vous prenez place parmi un public indistinct dont vous ressentez les moindres frissons. Bienvenue au Delusion Club, club clandestin, « cloaque effréné des fripouilles », qui accueille « la crème des parias » – dont vous faites, quelle chance !, désormais partie. Profitez-en : cette nouvelle création, tout aussi réussie que les précédentes, de l’incroyable duo Le Cirque des Mirages est un moment hors du temps.

Voilà huit ans que je suis Le Cirque des Mirages, composé de Yanowski (auteur-compositeur-interprète) et Fred Parker (auteur-compositeur-pianiste), depuis que je les ai découverts, stupéfaite et renversée, au Off d’Avignon (lire aussi ici). J’attendais leur nouveau spectacle avec une impatience mêlée d’inquiétude : n’allais-je pas être déçue, lassée ? Que nenni, au contraire, mon enthousiasme est renouvelé !

Ce Delusion Club nous offre exactement ce que j’espérais : une immersion dans un monde parallèle, pareil à ces boutiques cabinets de curiosités ou ces bouges mal famés dans lesquels les héros de romans fantastiques vendent leur âme au Diable ou vont s’encanailler. Un univers original et atypique, fait d’un mélange de nouvelles gothiques (les amateurs de romantisme frénétique adoreront), de mélodies complexes, entre rêve et cauchemar, d’irrévérence, d’humour noir et de poésie, tout ça dans une osmose fascinante entre les deux artistes.

Dès l’introduction, nous sommes entraînés dans les bas-fonds de l’humanité et de notre psyché. On retrouve tous les thèmes chers à Yanowski : la folie, le Doppelgänger, le temps, la mort, « l’immondice » en général (crime, misère, décadence), le sexe, l’anticapitalisme, l’anticléricalisme…

« Il y a toujours cette sensation qu’on est pris dans une sorte de machine gigantesque, qui nous invite à travailler pour la société de consommation et à consommer pour travailler, dans un cercle infernal. D’où le cri, qui peut surgir de tout ça. »

Relire notre grande interview de Yanowski en 2014

Nous naviguons, tels un bateau ivre, sur des flots fiévreux de mots et de notes. Entre Poe, Stevenson, Wilde, Gogol, mais aussi Rimbaud, Baudelaire – et j’en passe -, de Hambourg à Prague en passant par le Vatican. Malgré la noirceur des textes, macabres et/ou grinçants, on rit souvent : lors d’une « vente aux enchères » cynique, à la lecture de « petites annonces » glauques (petite ambiance « Chez Madame de la Fressange »), à la pénurie d’eau bénite (je me suis dit : « ils ne vont pas oser… » et si, ils ont osé !) (à ne pas mettre entre toutes les oreilles) ou à un combat de boxe burlesque qui rappelle un peu « Les Corses ».

L’émotion n’est toutefois pas en reste, pointes d’espoir dans la « marche boîteuse du monde » avec « La barque », « Je veux te dire », sorte de « Chanson des vieux amants » et, en rappel, « L’amour à mort ».

Toujours moulé dans son haut noir faisant ressortir l’immensité de ses bras (et son immensité tout court), Yanowski donne tout, durant plus d’une heure, physiquement et vocalement (magnifique passage du baryton sur « L’écrivain », grand moment de narration de 12 minutes rappelant « Le fonctionnaire »). Plus en retrait, mais néanmoins très présent, Fred Parker l’accompagne avec virtuosité. L’une des excellentes idées est d’avoir interchangé les rôles le temps d’une saynète. Sur « Nestor », Yanowski devient pianiste (excellent) et Parker une marionnette maléfique annonçant « la bonne nouvelle ».

Ce tour de chant unique en son genre doit également beaucoup aux belles lumières de Frédéric Brémond. C’est pourquoi je vous conseille d’aller voir Le Cirque des Mirages au théâtre, plutôt que dans un café/bar où il se produit parfois, pour profiter pleinement du côté « expressionniste » et théâtral de la mise en scène.

Conteurs de génie, les deux acolytes nous envoûtent avec cette nouvelle performance tourbillonnante, peut-être déroutante pour qui les découvrira pour la première fois. Qu’on accroche ou pas, on ne peut nier que ce sont deux très grands talents. À voir absolument sur scène tant qu’il en est encore temps !

Pour en savoir plus :

Céline

J'aime bidouiller sur l’ordinateur, m’extasier pour un rien, écrire des lettres et des cartes postales, manger du gras et des patates, commencer des régimes, dormir en réunion, faire le ménache, pique-niquer, organiser des soirées ou des sorties « gruppiert », perdre mon temps sur Facebook et mon argent sur leboncoin.fr, ranger mes livres selon un ordre précis, pianoter/gratouiller/chantonner, courir, "véloter" dans Paris, nager loin dans la mer…

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