28 mars 2024

« Un siècle – Vie et mort de Galia Libertad » : fresque familiale et sociale généreuse de Carole Thibaut

Trois générations se retrouvent et, à travers elles, défile un siècle – ce siècle passé – de destinées individuelles et collectives, d’espoirs, de luttes, de désenchantements, de secrets, d’incompréhensions… et d’amour. Cette ambitieuse comédie humaine, à la fois intime et romanesque, est l’œuvre de Carole Thibaut, directrice du Théâtre des Îlets – Centre dramatique national de Montluçon, après quatre ans d’une enquête historique locale. Elle mêle avec humanisme et tendresse fiction et réalité, passé et présent, politique et intime, petite et grande échelle, vie et mort, et est à découvrir au Théâtre de la Cité Internationale jusqu’au 26 février.

Sous un grand arbre qu’on imagine bien vieux et témoin de nombres d’événements et éphémères existences humaines (superbes décors et scénographie), se retrouvent trois générations d’une famille éclatée et pourtant soudée. Au centre, celle qui relie tous les autres personnages : Galia Libertad, la bien-nommée. Grand-mère, mère, amante. Galia arrive au terme de sa vie. Elle n’en a pas peur et ne regrette rien. Au fil de trois jours et trois nuits de fête (2h15 de spectacle), durant lesquels elle n’en finira pas de mourir, elle, ses deux amoureux, ses deux fils, sa belle-fille et ses deux petites-filles vont déployer chacun leur tour, devant le petit ami de l’une des jeunes femmes – et le public -, l’histoire familiale, traversée et marquée par la grande histoire et celle d’un territoire : Montluçon.

De souvenirs, parfois erronés, en secrets de famille, de malentendus en révélations, nous allons revivre à travers eux cent ans de guerres (Guerre d’Espagne, Seconde Guerre mondiale, guerre d’Algérie), d’engagements sociaux (de l’histoire de Montluçon, représentative du destin des villes moyennes autrefois paysannes, puis industrielles jusqu’au déclin, aux revendications actuelles pour l’égalité des droits, en passant par les Gilets Jaunes) mais aussi d’amours ratées et de questionnements existentiels (dans les meilleurs moments, on pense à Tchekhov).

« Un immense bruissement de vie remplissait l’air » (Baudelaire)

Bien que tout tourne autour de la mort annoncée puis vécue du personnage principal, haut en couleurs et admirablement incarné par Monique Brun (assise presque 95 % du temps !), c’est un grand sentiment de vie qui nous étreint devant cette pièce un peu bavarde, interprétée avec conviction par l’ensemble des comédiens. Galia transmet quelque chose de sa fureur de vivre à chacun d’entre nous.

Comme dans la vraie vie, il y a d’ailleurs quelques longueurs car le récit, non linéaire, nous perd parfois un peu. Notamment lors du monologue sur le théâtre paysan – le comédien est cependant génial -, ou l’histoire de Montluçon avec des projections sombres en arrière-plan, ou encore l’intermède de fête sur une playlist trop longue… d’autant plus que la mise en scène est un peu sage jusqu’à la mort de Galia, qui teinte l’ambiance d’un voile fantastique intéressant. Sans que cela me déplaise foncièrement, j’ai aussi été déstabilisée par les quelques changements de ton : le côté parfois trop lyrique de la voix off, comme si l’on nous racontait une fable ou un conte, désamorcé par l’humour absurde de la brisure du quatrième mur, qui coupe soudain l’empathie que l’on éprouve pour les personnages puisqu’on voit les comédiens à l’œuvre. Ces comédiens ont en partie nourri le texte de leur propre histoire, mais le procédé m’a semblé un peu appuyé.

Carole Thibaut évite toutefois avec bon goût le didactisme ou le pathos, lorsqu’elle aborde les questions politiques (beau questionnement doux amer sur « l’opportunisme de la morale », bien qu’on sente l’engagement de gauche) ou des épisodes tragiques quasiment indicibles (l’un des passages les plus forts est celui de la disparition de la mère de Galia, qui recolle d’ailleurs les bribes de l’histoire familiale). On comprend alors que c’est par le récit que nous pouvons continuer à vivre… avec nos chers fantômes. Et d’avancer, au sein d’une famille dont on porte en nous l’histoire, sur sa propre voie.

Du beau théâtre populaire, poétique, politique, à même de toucher les publics bien au-delà de Montluçon !

Pour en savoir plus

Céline

J'aime bidouiller sur l’ordinateur, m’extasier pour un rien, écrire des lettres et des cartes postales, manger du gras et des patates, commencer des régimes, dormir en réunion, faire le ménache, pique-niquer, organiser des soirées ou des sorties « gruppiert », perdre mon temps sur Facebook et mon argent sur leboncoin.fr, ranger mes livres selon un ordre précis, pianoter/gratouiller/chantonner, courir, "véloter" dans Paris, nager loin dans la mer…

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