19 mars 2024
"Thomas joue ses perruques (deluxe edition)" au Théâtre du Rond-Point © Céline Allais

« Thomas joue ses perruques (deluxe edition) » : récréa’tif et doux-am’hair

Si vous scrollez sur Instagram, il y a fort à parier que vous êtes déjà tombé·e sur une vidéo de Thomas Poitevin, dont le compte @les.perruques.de.thomas a, tout comme @les.caracteres de Lison Daniel, égayé nos différents confinements covidiens. Dans de courtes séquences filmées en très gros plans souvent peu avantageux, Thomas et ses perruques parfois de guingois incarnent des personnages croqués avec un humour aussi féroce que tendre, qui les rend particulièrement attach(i)ants. Le voici sur scène, pour la seconde fois – mais la première pour moi. Une galerie de portraits plaisante et inégale dont les faiblesses (selon mon point de vue) n’ont pas empêché la grande salle du Théâtre du Rond-Point de se gondoler de rire pendant plus d’une heure et quart.

Même si elle nous prive des mimiques comiques de l’auteur-comédien, cette transposition au plateau est, disons-le, plutôt réussie, ce qui n’était pas si évident. Dans un élégant décor minimaliste – une quinzaine de perruques exposées sur une table – et un jeu de lumières bien pensé (notamment des fondus au noir pour passer d’un personnage à l’autre, parfois après le changement de perruque, ce qui donne un tempo très subtil), Thomas Poitevin compense en faisant un excellent usage de l’entièreté de son corps qu’on ne voit jamais à l’écran. Seul en scène, il occupe le vaste espace avec une aisance séduisante. Sa faculté confondante à passer vocalement et corporellement d’une personnalité à une autre charme d’emblée : ses personnages existent, on les voit, on y croit.

On retrouve donc avec plaisir dans ce spectacle des personnages récurrents des pastilles vidéos, dans des sketches (« micro-fictions ») inédits : Caro, trentenaire contemporaine hypersensible un peu aux fraises mais qui essaie malgré tout, partage vaillamment une (non) aventure (para) normale ; Laurence (et son assistante Marine en hors-champ), l’impayable duo de l’Étanol – scène nationale, se creuse la tête pour caser une compagnie « de vieux » dans la prog ; quant à l’inénarrable « papy » Daniel Pelletier, il continue de râler pour notre plus grand bonheur. C’est aussi par lui que surgit une émotion inattendue… malheureusement un peu trop étirée en longueur. Entre ces perruques familières, de nouveaux personnages font leur apparition : un ado interné en établissement psychiatrique, un frère qui lit un discours de mariage plein d’anecdotes dont on se passerait bien, une femme qui chaque nuit avoue à son mari tout ce qu’elle n’ose pas lui dire lorsqu’il est éveillé (mais ce n’est pas sale)…

Cette collection d’anti-héros du quotidien, à la banalité touchante, ne se veut pas que drôle. On sent bien, et on lui en sait gré, que Thomas Poitevin se moque, mais pas si cruellement que ça. Une véritable tendresse sous-tend son écriture aiguisée (en complicité avec Hélène François, Stéphane Foenkinos et Yannick Barbe) : car c’est aussi de nos propres maladresses, de nos erreurs ou celles de nos proches que nous rions de bon cœur. Ainsi, au-delà de son anecdote atrocement inintéressante qui n’en finit pas, Caro rame désespérément sur le plan sentimental ; la créatrice enjouée du concept « Play & Plug » avoue au détour d’une phrase la rupture – pour une broutille – avec sa sœur qui semble l’avoir déstabilisée ; le frère qu’on qualifierait spontanément de « beauf » remplit son discours « 200 % gênance » de tout l’amour familial envers son cadet « différent »… Quelques interludes plus légers rythment le spectacle : on retiendra particulièrement l’intervention de cette dame chic, kleptomane de Monoprix (fous rires garantis).

L’Étanol, scène nationale

Tout cela est fort sympathique, le public conquis d’avance rit d’un rien. Pour ma part, puisque j’aime bien couper les cheveux en quatre, j’ai regretté que l’écriture ne soit pas un peu plus resserrée et ambitieuse, comme dans les vidéos qui disent tant, en si peu de temps. Certaines scènes, bien que drôles, traînent un poil : l’histoire de Caro qui introduit le spectacle ; la Rencontre de Daniel qui le clôt. De plus, sur la longueur, la récurrence de voix féminines un peu traînantes et mollassonnes aurait peut-être tendance à (me) lasser. En prenant plus d’ampleur sur scène, les personnages m’ont semblé, non pas gagner en personnalité, mais perdre au contraire un peu de leur mordant, de leur fraîcheur, frôlant la facilité (l’humour est basiquement gentillet et assez peu décoiffant / perruque ‘n roll) et la caricature d’eux-mêmes.

Je précise que, au vu de l’accueil hyper enthousiaste de la salle, je dois être une des rares à avoir eu ce sentiment un peu mitigé (soyons honnête aussi, j’ai quand même pas mal ri). Donc si vous aimez les perruques de Thomas, il est fort probable que vous adoriez ce passage du virtuel au réel. Et si vous ne connaissez pas, il est temps de découvrir l’un des noms actuels de l’humour du « monde d’après ».

Daniel Pelletier écrit des trucs

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Céline

J'aime bidouiller sur l’ordinateur, m’extasier pour un rien, écrire des lettres et des cartes postales, manger du gras et des patates, commencer des régimes, dormir en réunion, faire le ménache, pique-niquer, organiser des soirées ou des sorties « gruppiert », perdre mon temps sur Facebook et mon argent sur leboncoin.fr, ranger mes livres selon un ordre précis, pianoter/gratouiller/chantonner, courir, "véloter" dans Paris, nager loin dans la mer…

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