8 novembre 2024

« ElianeS », le panache trash

Comme les trois mousquetaires, elles sont quatre. Et comme eux, elles ne manquent ni de panache, ni de moustache (ou barbe). Durant 1h15, ces « ElianeS » enchaînent saynètes absurdo-délirantes et costumes avec un culot et une rapidité qui laissent bouche bée. Un spectacle excentrique et débridé, hors du commun, absolument recommandé à ceux qui n’ont pas froid aux yeux et aux oreilles.

ElianeS © Laetitia Piccarreta

« Je ne sais pas ce qu’on va voir, mais l’affiche fait un peu peur » me confiait l’amie qui m’accompagnait alors que nous faisions la queue au milieu de la foule compacte du Théâtre de Dix Heures. Moi non plus, je ne savais pas à quoi m’attendre, mais la raison principale de ma venue était la pétulante Lula Hugot, découverte en Maria Dolorès (un personnage almodovarien haut en couleurs) dans le Cabaret extraordinaire, vu deux fois pour ses beaux yeux de biche andalouse. L’affiche, quant à elle, très Freaks, me plaisait bien : une femme à barbe, Peau d’Âne, une travestie… c’est bizarre ? j’achète !

ElianeS, c’est un objet théâtral non identifié burlesque et grotesque, un cabaret dadaïste qui fait fi des conventions et du politiquement correct, une plongée radicale dans un univers déjanté, entre le cartoon à la Tex Avery, l’absurde des Monty Python, l’humour grolandais et l’irréverence d’Hara-Kiri. ElianeS, c’est un visage de femme kaléidoscopique, dont la pièce centrale et maîtresse est la figure de la mère.

Avant d’arriver au dénouement qui donne sens à l’ensemble du spectacle (et dans lequel se niche une forme étrange de mélancolie – en tout cas, c’est ce que j’ai ressenti -, avec l’arrivée d’une cinquième comédienne), nous croiserons une galerie de personnages tous plus dingues et flippants les uns que les autres : une prof de chant russe qui accable son élève par onomatopées, un cow boy survolté et son renard excité, une chanteuse « différente », une CPE aux nouvelles méthodes pédagogiques, une mère intrusive, un inspecteur en filature, adepte des déguisements à la Dupondt, quatre nymphes bretonnes, une femme-chien-panthère limite SM… sans oublier Catherine Deneuve et Isabelle Adjani, un peu paumées au milieu de ce grand foutoir, et même Bibie (reprise dans le Cabaret extraordinaire), qui a fait huler de rire notre voisine de devant. Je comprends, moi aussi, j’ai vécu ça la première fois, Madame (ne regardez pas la vidéo ci-dessous si vous comptez voir le spectacle).

Entre deux nichons, les références artistiques sont nombreuses. La pièce est constituée de différents tableaux, dans tous les sens du terme. Sur la droite, des peintures célèbres s’animent entre deux historiettes ; je ne les décrirai pas pour ne pas déflorer les surprises, mais l’idée est très drôle. Tableaux de maîtres, donc, mais aussi danse contemporaine à la Merce Cunningham sur fond de musique à la John Cage (passage où j’ai pleuré de rire), cinéma (Peau d’Âne, l’Inspecteur Cools / Clouseau)… Au départ, tout cela paraît bordélique mais, au fur et à mesure, on retrouve des personnages récurrents qui donnent une cohérence bien ficelée au projet et au propos.

Les quatre comédiennes sont incroyables, multi-talentueuses, protéiformes, magnifiques. Telles des caméléons, elles passent d’une tenue à l’autre, d’un accent à l’autre, d’un sexe à l’autre, avec une aisance déconcertante. La plus impressionnante est peut-être Charlotte Saliou qui semble incarner à elle seule toute la folie furieuse de cette pièce, et dont le visage se tord en tous sens comme un personnage de dessin animé. Belle et fragile en chanteuse lyrique, elle devient soudain un cow boy / renard obsédé sexuel ou un général rescapé de Verdun libidineux / incestueux / pédophile atteint de tics et du syndrome de la Tourette. Oui, tout ça. Mais les trois autres ne sont pas en reste. Elles sont explosives, sexy en diable : Diane Bonnot, la grande (E)liane bombasse qui se transforme en mère terrifiante, Laurence Cools, la petite inspectrice gironde à l’accent belge adorable, et ma chouchoute, donc, Lula Hugot, artiste polyglotte qui imite à merveille l’accent russe, espagnol ou arabe, danse la danse du ventre et fait le youyou avec une sensualité indécente.

Vous l’aurez compris, il est difficile et même inutile de raconter ce spectacle délirant et déluré. Tout le monde en prend pour son grade, tous les clichés sur la femme sont dynamités. On rit à gorge déployée, on grince des dents, on ferme parfois les yeux devant tant d’impertinence et d’audace (la bourgeoise en moi fut parfois un peu choquée, et c’était bien), on redoute le franchissement ultime des limites du bon goût… Et puis au final, on comprend tout et on se dit qu’on a vu un spectacle extraordinaire, qui sort littéralement de l’ordinaire, quelque chose pas loin du manifeste féministe.

Il vous reste encore deux dates (lundi 30 mai et lundi 6 juin) pour voir ce que vous n’avez encore jamais vu.

Merci ElianeS et « gros bisous ».

Pour en savoir plus :

Céline

J'aime bidouiller sur l’ordinateur, m’extasier pour un rien, écrire des lettres et des cartes postales, manger du gras et des patates, commencer des régimes, dormir en réunion, faire le ménache, pique-niquer, organiser des soirées ou des sorties « gruppiert », perdre mon temps sur Facebook et mon argent sur leboncoin.fr, ranger mes livres selon un ordre précis, pianoter/gratouiller/chantonner, courir, "véloter" dans Paris, nager loin dans la mer…

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Une réflexion sur « « ElianeS », le panache trash »

  1. Tout d’abord, merci de m’avoir permis de découvrir ces artistes et leur spectacle.
    Vital, déjanté, oxygénant, insolent, pertinent, impertinent, salutaire, régressif, jubilatoire… Difficile d’épuiser les qualificatifs, comme il semble impossible d’épuiser ce « quatuor à tordre ».
    Tordre les idées reçues sur le féminin fragile et éthéré.
    Tordre les bouts de sein de Gabriel d’Estrées de telle manière que la duchesse de Villars ne puisse jamais s’en remettre!
    Et surtout se….Tordre de rire quand Bibie nous renvoie aux abysses de notre mémoire téléphage.
    Bref, il faut courir voir leur « last » (but not least) lundi 6 juin, avant de chercher trop longtemps un exercice théâtral aussi libéré de tout complexe.
    Pas un manifeste féministe, mais un féminin universel, celui que les hommes ont en eux, mais se contraignent à contenir, celui que les femmes doivent s’autoriser, tant ça les rend irrésistiblement drôles.

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