Dans l’intimité de la petite salle du théâtre Clavel (Paris 19e), Daniel Pop, jeune danseur-chorégraphe d’origine roumaine, dont le nom pétille autant que le quartier dans lequel se produit, présente avec fougue et hardiesse sa deuxième création chorégraphique contemporaine, À tour de rôle. Cinq variations, différentes et complémentaires, en solo et duo, autour du thème de l’identité. Une expérience charnelle et troublante, au plus près – comme rarement on l’a été – des corps dansants, vibrants, vivants.
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Les sièges sont étroits, le premier rang donne de plain-pied sur la scène, relativement petite, l’ambiance est intimiste. Même si l’on s’attend à une certaine proximité avec les artistes, à l’entrée du danseur et chorégraphe Daniel Pop, j’ai été surprise – presque gênée dans un premier temps -, d’être aussi proche de lui. De voir son visage, ses yeux, son corps, dans un costume-jupe assez sensuel, sa sueur et d’entendre son souffle aussi nettement, comme si le quatrième mur auquel on est habitué au spectacle était brisé (il se brise d’ailleurs un peu plus tard, mais chut !). Dès les premières secondes, un lien personnel et fusionnel se crée donc entre le public et les interprètes, qui tranche, me semble-t-il, avec ce que nous ressentons dans des salles plus grandes et nous oblige à porter un regard plus attentif sur ce que nous voyons.
Au fil de cinq pièces contrastées formant un tout cohérent, que l’on peut interpréter à différents niveaux, Daniel Pop, accompagné de la danseuse Alexia Pau à la gestuelle précise, explore la construction identitaire dans ses multiples aspects : culturelle, religieuse, sexuelle, sociale, et interroge notre rapport à la domination et la soumission. Le titre, bien trouvé puisque les deux danseurs se succèdent dans des performances en solo puis en duo, aurait même pu s’agrémenter d’un pluriel optionnel : À tour de rôle(s). Quels rôles jouons-nous par rapport à notre héritage, à notre histoire individuelle et collective, aux conventions, aux regards extérieurs ? Corps à corps, corps-accords ou désaccords, corps voilés ou quasi-nus, corps recroquevillés ou corps dressés : cette danse énergique a parfois quelque chose de la lutte – contre l’autre ou contre soi.
“Mon parcours de l’Est à l’Ouest m’a obligé à m’adapter, à écouter, à découvrir et surtout à me battre pour affirmer mon envie de danser.” Daniel Pop
Nous assistons à une sorte de cheminement initiatique, de la libération d’un cocon/carcan et la genèse d’un corps sensuel dans “Genesis”, qui évoque le parcours d’une femme pour s’affirmer, à l’indépendance et l’apaisement (d’une identité double assumée ?) dans “Dépasse !”, qui clôt en beauté le programme, en passant par les convulsions du doute et de la révolte (“Buni”, un hommage aux valeurs héritées des ancêtres), les sursauts de résistance (les soubresauts répétitifs de “Debout”, pièce centrale et, selon moi, la plus forte) et la danse-manifeste affirmation de soi (sorte de transe techno de “Mapping”).
Le côté théâtral et expressionniste revendiqué par le chorégraphe, influencé par le Tanztheater de Pina Bausch, renforce la dramaturgie de certains passages, même s’il peut paraître parfois un peu appuyé (les références religieuses m’ont personnellement moins convaincue). Certaines chorégraphies m’ont plus touchée que d’autres, mais aucune ne m’a laissée indifférente, la bande-son étant par ailleurs très bien choisie, mêlant sacré et profane, classique et électro, baroque (merci pour la découverte du superbe “In this shirt” de The Irrepressibles) et abstrait. Il y en a pour tous les goûts et chaque tableau possède sa propre identité, sa propre ambiance, entre ombre et lumière.
Durant une heure, les deux interprètes, complices, donnent tout, avec une sincérité admirable. Ce doit être pour eux une expérience assez intense de danser aussi près du public, toute défaillance étant forcément plus visible (au deuxième rang, j’ai d’ailleurs un peu regretté de n’être pas placée légèrement plus haut pour avoir plus de recul sur leurs déplacements et leur occupation de l’espace). Ils insufflent à cette jeune création immersive l’élan de la vie et le frisson de la liberté. N’hésitez pas à aller les encourager !
Pour en savoir plus :
- À tour de rôle, au Théâtre Clavel, les mardi 23, mercredi 24, mardi 30 et mercredi 31 octobre, à 19h30 – Billet sur billetreduc.
- Daniel Pop : Facebook | Instagram
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3 questions à Daniel Pop
MarCel : au regard de ton parcours international, quel est ton rapport à l’identité ?
Daniel Pop : D’origine roumaine, basé à Paris depuis huit ans après avoir débuté ma carrière en Argentine, je suis profondément enraciné en Transylvanie, dans les Carpates, une région riche en culture, en traditions, vallonnée, à la danse très contrastée, entre sacré et chaos. J’y ai joué et dansé, au Théâtre National de Targu-Mures. Très jeune, j’ai acquis une discipline de vie de danseur puisque j’ai étudié le chant lyrique et la danse classique, notamment au Ballet des Enfants, avant de partir me perfectionner en danse moderne et néo-classique à Buenos Aires à 19 ans. Puis, j’ai continué au Conservatoire de Boulogne où j’ai rencontré mon “maître”, le chorégraphe Gigi Caciuleanu. Ces voyages, ces rencontres, m’ont obligé à m’interroger : comment te positionner, comment être en permanence à l’écoute d’une nouvelle culture, quel est ton rapport à l’endroit où tu es, à celui d’où tu viens, quelles sont les frontières, où tu situes-tu en tant qu’ambassadeur des cultures ? Je fais toujours attention à mes réflexions, ma façon de proposer un projet… Aujourd’hui, je ne me sens réellement chez moi dans aucun pays. Mon pays, c’est la scène ! Ce qui m’intéresse, c’est la transversalité, l’interdisciplinarité, les croisements culturels. Je prends le corps comme outil de communication. Je collabore tout en étant libre, de par mon statut de freelance.
Marcel : avec À tour de rôle, ta seconde création, tu te lances dans le développement de ta propre écriture chorégraphique. Outre Gigi Calciuleanu, as-tu d’autres inspirations ?
Daniel Pop : Gigi a eu un rôle de transmission très important. Par ailleurs, je me suis formé auprès de gens que j’admire : le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch, d’où mon côté danse-théâtre, Carolyn Carlson, Olivier Dubois qui travaille sur la fatigue corporelle, l’animalité, le Théâtre du Corps de Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault, Ohad Naharin… J’admire François Chaignaud… Je n’hésite pas à aller vers les gens, travailler avec eux, croiser les expériences. Mes inspiration vont du classique à l’électro en passant par le contemporain, tout en gardant mes bases, mon patrimoine. La relation avec d’où l’on vient, le travail de mémoire et le folklore dans la modernité sont importants pour moi. Je me considère comme un “ouvrier de la danse”, qui a un rapport avec le travail, la terre… Sinon, j’ai un côté très gourmand : je sors beaucoup, je vois des spectacles, j’observe comment d’autres artistes travaillent. La vie, les rencontres, les connexions interpersonnelles, les collaborations permettent de croiser les arts (scénographie, théâtre, peinture, cinéma, photo…) et, à travers le mouvement, nourrissent ma ligne artistique.
MarCel : quels sont tes projets ?
Daniel Pop : je collabore en tant que freelance avec les compagnies Karma Dance Project d’Alice Valentin, Ephata de Catherine Cadol, avec Alice Psadouraki, le Paradis Latin, mais aussi l’Institut Culturel Roumain pour une commande, une pièce autour de Ghérasim Luca, co-écrite avec une comédienne pour le festival Quartier du Livre, en mai 2019 : Amourg, qui a reçu le label “Saison croisée France-Roumanie”. Avec Sophie Jacqmin, architecte d’intérieur, et sa maison d’édition Entre chien et loup, nous avons présenté aux Rencontres d’Arles une première création transversale entre danse, parfum, littérature, photographie. La seconde est en gestation. J’ai également créé, avec la cinéaste roumaine Oana Merdariu, l’association cinématographique chorégraphique 4everFilms Productions et le centre artistique, Art PM, qui ouvrira l’an prochain en Transylvanie et dont je serai Directeur artistique. Dans ce cadre, nous travaillons avec l’ONG Issues without Borders pour tout ce qui concerne les problématiques actuelles dans les conférences internationales. Nous cherchons d’ailleurs des sponsors et mécènes pour développer un triptyque autour des réfugiés. Quant à ma prochaine création, elle portera sur les articulations du genre, du sexe, de la société, et le troisième sexe social, avec un quatuor mêlant danse, texte et performances vocales !
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CONCOURS
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